Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avaient peu à peu désaccoutumé et presque découragé d’une participation active aux affaires publiques. Lord Holland dit qu’il l’a vu chagrin jusqu’aux larmes d’être obligé de quitter Sainte-Anne pour aller au parlement. Il ne croyait plus au succès. Il se défiait des hommes. Les institutions de son pays n’avaient pas rendu tout ce qu’il en attendait ; il craignait qu’elles ne fussent sans retour faussées, énervées. Il pensait toujours à l’euthanasie de Hume. Quand on lui demandait d’expliquer ce qui se passait, il répondait par ces vers de Dante :

Vuolsi così cola dove si puote
Ciò che si vuole, e più non dimandare.

La dernière crise ministérielle avait montré en effet toute la puissance personnelle du roi. Fox ne pouvait regretter Pitt. « C’était un mauvais ministre, écrit-il à Grey ; il est dehors, je suis content. » Il se flattait même que ce serait une occasion de montrer aux plus prévenus jusqu’où peut conduire une politique de courtisans. « La beauté d’un gouvernement vraiment royal va apparaître dans tout son éclat, » disait-il dans la même lettre. Toutefois il doutait s’il devait attaquer ou ménager le nouveau cabinet. Il craignait un piège, tant il le trouvait faible ! Dans le doute, il se montrait peu et venait rarement à la chambre. Blessé des injustices de l’opinion, il se disait que sa personne nuisait peut-être à sa cause, et que pour la servir il fallait des ménagemens et des concessions dont il ne se sentait pas capable. En cas de changement, il avait dès longtemps mis en avant l’idée d’un ministère whig où il ne serait pas. Je ne suis pas, disait-il en français avec un peu d’ironie, à la hauteur des circonstances.

Cependant la santé du roi oscillait entre la raison et la démence. Des chances nouvelles pouvaient s’ouvrir. Le prince de Galles n’avait point rompu avec l’opposition ; mais tout à coup il venait de se prononcer contre l’émancipation des catholiques, probablement parce que Pitt s’y était montré favorable. La confiance du prince allait à Sheridan, qui n’avait pas celle de Fox, et l’opposition n’était pas d’accord. Sheridan, Tierney, Erskine, à qui son éminent talent d’avocat avait fait un grand rôle dans les procès politiques, étaient d’avis d’attirer le ministère en se rapprochant de lui, et le second finit même par accepter le titre de trésorier de la marine. Grey et lord Holland pensaient que, sans s’occuper des ministres, il fallait aller de l’avant, et poser des questions qui tôt ou tard diviseraient la majorité. Du côté de Pitt, on n’était pas plus unanime. Mécontent du roi, qu’il avait mécontenté, il ne voulait point le pousser à bout, et il épargnait ses successeurs ; mais ses amis étaient moins patiens. Grenville avait un parti, et Windham ne se séparait pas de lui ; tous deux, en attaquant la paix, tendaient sur la politique intérieure