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l’héritier de Fox, c’est lord Grey. Oui, c’est de Fox qu’il faut dire que sa politique a triomphé sur son tombeau.

Et comme si toutes ces choses se tenaient, comme si l’Angleterre devait cesser de méconnaître la France dès que la France cesse de se méconnaître elle-même, les sentimens de Fox pour notre pays, ce respect pour notre indépendance, même cette indulgence pour nos révolutions qui va jusqu’à l’optimisme, ont pénétré dans les divers cabinets de la Grande-Bretagne. Plusieurs des anciennes préventions, des vieilles jalousies se sont dissipées ; la politique des deux pays a constamment oscillé autour d’une alliance intime, et par moment cette alliance s’est réalisée, toujours au profit de la civilisation du monde. Je ne crois pas en politique aux rapports éternels : il ne peut exister entre des nations un lien de dévouement, une solidarité désintéressée. Leur orgueil, à défaut de leur prudence, peut les séparer quelquefois. Comment oublier, du roi Jean à Napoléon, combien de faits historiques ont laissé aux deux peuples de ces blessures qui peuvent se rouvrir ? Qui donc ignore que tantôt l’artifice des gouvernemens, tantôt la passion populaire ont suggéré des défiances, accrédité des soupçons, entretenu des ressentimens ? Enfin comment se dissimuler qu’une certaine jalousie tour à tour commerciale ou politique obsède comme un préjugé héréditaire, l’esprit naturellement droit et bienveillant des Anglais ? Une confiance chevaleresque dans les alliances de ce monde serait un aveuglement d’enfant ; mais, cela dit, je persiste à penser que depuis Henri IV, c’est-à-dire depuis qu’il y a en France quelque chose comme un gouvernement, le système d’alliances de ce grand prince est resté pour le fond le vrai système de la France, et si l’on a dû parfois s’en écarter, on a toujours bien fait d’y revenir. Les déviations, quand elles ont été forcées, ont été des accidens. Spontanées, elles ont été des fautes. Elles ont créé aux deux peuples de faux intérêts et des oppositions factices qui leur ont fait plus de mal que rapporté de gloire ; je n’admire pas ceux qui ont gouverné pour la vengeance. Je crois que l’équilibre stable de l’Europe, du monde peut-être, est dans une certaine union, plus ou moins étroite, suivant les temps, de la France et de l’Angleterre. Si cette politique a passé dans les veines de Fox avec le sang de Henri IV, qu’on rende grâce à la duchesse de Portsmouth ; mais n’importe l’origine, cette politique est toujours la bienvenue, elle recommandera toujours le nom de Fox parmi nous. Elle se lie au salut de la révolution française, c’est-à-dire à la cause de ma patrie.


CHARLES DE REMUSAT.