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II.

Les Orientaux eurent des statues de bronze longtemps ; avant les autres peuples : on en trouve un grand nombre parmi les antiquités égyptiennes, et l’Écriture sainte parle d’images d’airain fondu bien antérieures à celles que nous pouvons indiquer chez les Grecs et chez les Romains. Seulement, chez ces nations primitives de l’Orient, l’art sous toutes ses formes, enchaîné à sa naissance par la théocratie, dut renoncer à cette initiative qui est inséparable de tout progrès.

Suivant Pausanias, l’Italie aurait eu des statues de bronze longtemps avant la Grèce, et ici l’écrivain grec appuie sans doute son opinion, sur le témoignage de Denys d’Halicarnasse. Cet historien mentionne en effet plusieurs monumens en bronze qu’il rapporte aux premiers âges de Rome[1] ; mais on ne saurait en contester l’origine étrusque, et ce peuple précéda vraisemblablement la Grèce dans cette voie primitive de l’art. Seulement l’art étrusque, si remarquable par sa puissante originalité, n’atteignit jamais jusqu’à l’idéal : tandis que l’art plus jeune de la Grèce s’élevait rapidement et avec liberté jusqu’aux sublimes hauteurs, l’art qui l’avait précédé resta raide et comme étouffé sous des influences politiques qui s’opposèrent à son développement.

Dans cet art des bronzes, comme dans tous les arts d’imitation, la Grèce nous représente le mouvement vers la perfection. C’est donc surtout de ce côté qu’il faut porter ses regards, lorsqu’on cherche dans l’antiquité les modèles impérissables qui doivent nous inspirer aujourd’hui. C’est à Samos, dans une de ces belles îles ioniennes de l’Asie-Mineure, qu’est le véritable berceau de l’art des bronzes. C’est dans ces douces contrées, où naquirent Homère et Pythagore, Archiloque et Anacréon, Parrhasius et Aspasie, qu’il faut chercher le type élevé d’une industrie que doit toujours dominer le sentiment du beau et de l’idéal. C’est en effet à Théodore et à Rhécus de Samos qu’on attribue généralement l’honneur d’avoir exécuté en Grèce les premières statues de bronze. Or, le premier de ces artistes ayant gravé la fameuse émeraude de Polycrate, ce serait 530 ans environ avant Jésus-Christ qu’auraient paru en Grèce les premiers monumens exécutés en bronze. Ainsi l’art des bronzes s’émancipe complètement en Grèce au siècle de Pisistrate (VIe siècle), et il prend alors une forme qui, sans être encore parfaite et définitive, fait cependant déjà pressentir la perfection. Puis il prend un essor rapide pendant le siècle de Périclès (Ve siècle), et il arrive à une perfection qu’il conserve

  1. Ce serait d’abord une statue de Romulus couronné par la victoire et porté sur un char attelé de quatre chevaux, puis une figure représentant Horatius Coclès, et enfin une statue équestre de Clélie.