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jusque sous le règne d’Alexandre (IVe siècle). C’est à cette époque que Lysippe, l’un des auteurs présumés du Laocoon, créant de nouveaux procédés de moulage, obtient des résultats gigantesques. On fondit alors de véritables colosses de bronze, et la seule île de Rhodes en possédait plus de cent, « dont un seul, dit Pline, aurait suffi à la gloire d’une ville. » Les bronzes grecs les plus estimés étaient ceux de Samos, d’Égine, de Délos et de Corinthe. Du reste toutes les villes de la Grèce rivalisaient de zèle et de génie dans cette noble branche de l’art, tellement qu’à l’époque de l’invasion romaine Athènes comptait, dit-on, plus de trois mille statues en bronze, et il y en avait autant à Rhodes, à Olympie et à Delphes. Que sont nos richesses modernes en comparaison de ces splendeurs de l’antiquité !

Cependant l’heure de la Grèce était marquée, et l’invasion des Romains au milieu de ces villes peuplées de merveilles fut ce que devait être plus tard pour l’Italie l’invasion des Barbares. Tout le monde connaît les tristes détails du sac de Corinthe, les détails plus tristes encore de la prise d’Athènes, et tous ces grands désastres qui ruinèrent les arts dans leur propre foyer et les frappèrent de coups mortels. Les plus rares chefs-d’œuvre de Phidias et de Polyclète, de Zeuxis et de Parrhasius, d’Ictinus et de Praxitèle, de Scopas, de Lysippe et d’Apelles furent anéantis par les mains grossières de soldats ignorans : le reste fut mutilé et proscrit.

On a vu que les premiers élémens de l’industrie des bronzes furent importés à Rome par les Étrusques. Les Romains, absorbés par la guerre, n’avaient pas le temps de se créer un art original, et ils prirent d’abord tel qu’ils le trouvèrent l’art de la vieille Étrurie ; mais ils l’abandonnèrent bientôt pour l’art grec. Après la conquête de l’Achaïe, ils transportèrent à Rome, non-seulement les richesses de la Grèce, mais aussi ses artistes : Mummius devictâ Achaïa replevit urbem. Les plus beaux bronzes et les plus habiles fondeurs de Corinthe et de Délos furent emmenés par droit de conquête, et bientôt cette industrie se naturalisa à Rome sous sa forme grecque. Ces farouches amans de la gloire, ces guerriers auxquels rien ne résistait, furent subjugués par la beauté toute-puissante de l’art hellénique. La Grèce domina sans partage à Rome, et loin de se transformer, de se plier aux exigences d’une civilisation étrangère, ce fut l’art grec qui transforma cette civilisation. Le génie des Hellènes s’infiltra dans le sang romain, et la Grèce s’établit dans Rome. Ainsi l’art romain, fils de la violence et du pillage, n’est pas une transformation de l’art grec, c’est l’art grec lui-même marchant vers la décadence. Les bronzes apporteront aussi leur témoignage à l’appui de cette opinion. Ce sont des artistes grecs qui travaillent à Rome. S’inspirant des souvenirs de la patrie absente, ils produisent encore, sous les premiers césars, des œuvres admirables, mais cet art merveil-