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lorsque, sur les instances de la compagnie, Nussir fut obligé de renvoyer son favori. Quelques semaines après, il mourait lui-même empoisonné.

Les amusemens du palais étaient dignes de cette cour bizarre. C’étaient des plaisirs cruels et sanglans, mais d’ailleurs intéressans. En vérité, si nous avions visité la cour d’Oude sous le règne de Nussir, nous nous serions fort peu soucié de ses danses et de ses chants, mais nous aurions volontiers sollicité l’honneur d’assister à quelques-uns de ces combats d’animaux auxquels se complaisait le roi, non pas de ces combats repoussans où deux chameaux, luttant dans l’arène, se lançaient au visage les flots de salive de leur second estomac, ni ces combats où d’inoffensives et élégantes bêtes, les antilopes par exemple, s’éventraient pour le plaisir d’une brute humaine qui ne les valait pas, mais les combats gigantesques des rhinocéros, des tigres et des éléphans. Le spectacle de ces combats d’animaux est tellement émouvant, que les pages dans lesquelles l’auteur les raconte minutieusement arrivent par momens à l’éloquence. Ce dut être en effet un beau spectacle que celui du tigre Teraï-Wallah renversant le tigre Kagra. Kagra était un favori du roi, et Nussir avait parié pour lui une somme de cent mohurs d’or contre le résident. Kagra était un tigre monstrueux, Kagra était un aristocrate, l’orgueil de Lucknow ; on le montrait aux voyageurs comme une des merveilles du pays, et cependant Kagra fut vaincu par le Teraï-Wallah (c’est-à-dire l’étranger de Teraï), ainsi nommé parce qu’il avait été pris dans le district de Teraï. Mais plus merveilleux encore fut le combat du tigre Burrhea contre le cheval sauvage qu’on nourrissait dans la ménagerie du roi, et que sa férocité avait fait surnommer le mangeur d’hommes. Cette bête anthropophage, s’étant échappée un certain jour, avait tué et mis en pièces plusieurs personnes, et failli dévorer notre auteur lui-même et quelques-uns des habitués de la cour. Lorsqu’on rapporta le fait au roi, il se mit à rire et répondit : — Eh bien ! puisqu’il est si terrible, qu’on le mette aux prises avec Burrhea. Burrhea le mettra à la raison. — On introduisit dans l’arène les deux animaux. Aussitôt qu’ils furent en présence, devinant ce qu’on leur demandait à l’un et à l’autre, ils prirent toutes leurs mesures pour le combat, le cheval baissant la tête et l’œil immuablement fixé sur son adversaire, suivant tous ses mouvemens, et ayant soin de présenter toujours la croupe au lieu du cou, le tigre tournant avec hypocrisie autour de l’arène, comme s’il ne méditait rien contre la vie de son adversaire, et épiant l’occasion. Ce manège dura plusieurs minutes, et subitement, à la grande surprise du narrateur anglais, qui regardait pourtant ce spectacle avec toute l’attention qu’il mérite, le tigre s’élança sur sa proie par