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De quel côté étaient les torts ? Qui faut-il accuser d’Anne d’Autriche ou de sa belle favorite ? Ni l’une ni l’autre. Tout le mal vint d’une situation nouvelle, qui, en s’établissant peu à peu, les séparait inévitablement. Anne d’Autriche, devenue régente changea de politique ; elle renonça à ses desseins et à ses amis pour prendre ceux de Richelieu, présentés par une autre main. Mme de Hautefort au contraire resta fidèle aux anciens desseins et surtout aux anciens amis de la reine.

La gloire d’Anne d’Autriche, dans la postérité, est d’être arrivée au pouvoir, traînant après elle quinze ans de malheurs et de persécutions, d’amers et profonds ressentimens, avec une foule d’amis qui, pour elle, avaient bravé la mort, l’exil, la prison, et de n’avoir pas tardé à reconnaître que l’intérêt de la France, de son fils et de la royauté exigeait d’elle le sacrifice de ses amitiés et de ses haines, et de tous ses anciens engagemens. Elle semblait destinée, en 1643, à devenir une autre Marie de Médicis. C’était le parti de la reine-mère qui avait combattu pour elle, et, après avoir partagé sa disgrâce il comptait bien partager son crédit. La politique de ce parti était au dehors la paix, l’alliance espagnole, l’abandon de l’alliance protestante, au dedans le rétablissement de l’anarchique autorité des princes et des grandes familles, la domination des évêques sous le manteau de la religion, et celle du parlement sous celui de la liberté, en un mot le retour à l’ordre de choses que Louis XIII et Richelieu avaient entrepris de faire cesser. Qu’on nous permette d’éclairer ce moment critique et glorieux de notre histoire par un souvenir de notre temps. Lorsqu’en 1814 et 1815 la maison de Bourbon reparut parmi nous, elle ramenait de l’exil avec elle tout un monde de préjugés et d’inimitiés contre tout ce qui s’était passé en France depuis vingt-cinq années. Le roi Louis XVIII revenait avec un parti qui lui avait aussi prodigué les sacrifices, et qui comptait dans ses rangs des noms illustres, des vertus et même des talens. Quelles lumières supérieures ne lui fallait-il pas pour reconnaître que le triomphe de ce parti était la perte de la monarchie, pour comprendre l’excellence de l’ordre nouveau, pour en venir à préférer à des amis éprouvés d’anciens adversaires ; des généraux de la république et de l’empire, pour accepter les principes et les résultats de la révolution française, et devenir un roi constitutionnel, comme Henri IV, après la ligue, s’était fait un roi catholique ! De même en 1643 il fallut à la reine Anne une intelligence et une fermeté peu communes pour se séparer de ceux qui jusque-là l’avaient fidèlement servie, et embrasser la politique de celui qui l’avait tant persécutée. Ce grand changement s’opéra presque insensiblement, et sans qu’Anne d’Autriche elle-même en ait d’abord eu conscience ; il ne parut à découvert