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celui de la générosité et de la délicatesse, quel honnête homme même osera la blâmer ? Qui ne s’inclinera avec respect devant cette belle et noble créature qui après avoir pendant douze années servi héroïquement sa maîtresse, et pour elle dédaigné l’amour d’un roi et les brillantes promesses d’un ministre tout-puissant, au, moment où elle a droit d’espérer le terme de ses longues épreuves, où elle va connaître enfin la faveur la puissance, la grandeur, que sa jeune ambition avait rêvées, assurer son avenir et faire quelque grand établissement digne d’elle, foule aux pieds tous ces avantages, et, sans aucune intrigue, sans aucune arrière-pensée, se précipite au-devant d’une nouvelle et irrévocable disgrâce plutôt que de manquer à ce que lui commandait l’honneur ?

Un autre motif encore, d’une puissance irrésistible sur un cœur tel que le sien, la jeta dans une opposition de plus en plus déclarées nous voulons dire la liaison apparente ou réelle de la reine et de Mazarin. Pure comme la lumière, en vain son incomparable beauté lui avait fait mille adorateurs, les plus hardis avaient à peine osé se déclarer, et l’amitié de la reine, avec le commerce de leurs saintes amies du Val-de-Grâce et des Carmélites, lui avait suffi. Elle s’était attachée à Anne d’Autriche, parce qu’au charme du malheur Anne joignait à ses yeux celui d’une vertu méconnue, et maintenant elle la voyait, presque sur le déclin de l’âge, sacrifier au moins sa réputation à Mazarin ; or, nous l’avons vu, la réputation, lui était chère, presque à l’égal de la vertu, et elle tenait à celle de la reine comme à la sienne. Elle souffrait impatiemment le bruit qui se répandait comme s’il l’eût atteinte ; elle-même. Ajoutez que, pendant les trois années de solitude qu’elle venait de passer auprès du Mans, toute sa force contre les voix secrètes de son cœur, dans l’entier épanouissement de sa jeunesse et de sa beauté, avait été une piété sincère et sérieuse, portée jusqu’à une austérité un peu exaltée ; en un mot Mme de Hautefort, à vingt-sept ans, était dévote. Elle rougissait donc à la fois et frémissait de l’injurieuse accusation qui s’élevait contre la reine, et que semblaient autoriser ces conférences du soir, prolongées souvent jusqu’au milieu de la nuit, où Mazarin restait seul avec la régente, sous prétexte de l’instruire des affaires de l’état. Pour Mme de Hautefort, les affaires de l’état étaient bien peu de chose, devant le salut éternel de la reine et même devant l’opinion des hommes. Elle croyait la religion et la gloire ces deux idoles de son cœur, intéressées dans la simple apparence, et l’apparence était contre Anne d’Autriche. Pour s’accommoder de ces mœurs nouvelles, il eût fallu que Mme de Hautefort eût été une dame d’atours ordinaire, faisant son service sans trop, s’inquiéter de la conduite de sa maîtresse, comme l’honnête et discrète Mme de Motteville, que le triomphe