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de Mazarin choqua d’abord presque autant que sa compagne, mais qui, avertie par la reine, se soumit sans bassesse et finit par se condamner à un silence prudent. Mme de Hautefort pouvait-elle se réduire à ce rôle ? N’était-elle à Anne d’Autriche qu’une dame d’atours ? N’était-elle pas son amie devant Dieu et devant les hommes, et n’avait-elle point envers elle les droits et les devoirs d’une amitié chrétienne ? Les nobles religieuses du Val-de-Grâce, des Carmélites et des filles Sainte-Marie la pressaient de se joindre à elles, à Mme de Sénecé, à Mme de Maignelai, au père de Gondi, à l’évêque de Lisieux, au père Vincent. Tous ses instincts d’honneur et de dignité, tous les principes du solide christianisme dont elle faisait profession, se révoltaient à la seule idée de devoir sa fortune, les faveurs que lui voulaient prodiguer la reine et Mazarin, à une connivence criminelle ou à un lâche silence. Elle préférait mille fois la pauvreté, la solitude, une cellule dans un couvent à côté de Louise de La Fayette, à la moindre complaisance de ce genre, en sorte que sa sincère affection, sa vertu, sa religion, lui inspirèrent d’avertir Anne d’Autriche, d’essayer de la sauver, dût-elle elle-même se perdre, et de disputer le cœur de sa royale amie au beau et heureux cardinal. Enfin nous n’écrivons pas ici un panégyrique ou un roman, nous étudions l’humanité dans l’histoire ; nous cherchons à la voir et nous la présentons sans fard et sans voile. Disons-le donc, Marie de Hautefort est assurément une des femmes du XVIIe siècle qui ont porté le plus loin la grandeur des sentimens, encore relevée par l’esprit et par la beauté ; mais nous ne la donnons pas pour une personne parfaite. Loin de là, comme on dit, elle avait les défauts de ses qualités. Le trait principal de son caractère était l’honneur, la fierté, la générosité, le courage ; mais au lieu d’attendre le danger, selon l’instinct de sa race et l’humeur de son pays, elle se plaisait à le braver. Elle était d’une sincérité et d’une droiture admirables, mais elle n’en faisait pas toujours l’usage le plus respectueux. Sa bonté était inépuisable, mais elle oubliait quelquefois d’y joindre la douceur, quand il ne s’agissait point des malheureux et des faibles. Sa vivacité, si charmante dans les occasions ordinaires, pouvait dégénérer en une sorte de généreux emportement, lorsqu’elle croyait la justice ou l’honneur en jeu. Sa fine plaisanterie, si goûtée à l’hôtel de Rambouillet, si célébrée par tous les beaux esprits, pouvait avoir sa pointé d’amertume, si quelque irritation se glissait dans son âme, ainsi qu’il a paru dans la lettre qu’elle écrivit à la reine, en 1639 ou 1640, en faveur de Mlle de Chémerault. C’était à la fois une glorieuse et une précieuse, visant toujours au délicat et au grand, et tournant un peu à l’outré et au romanesque, comme Mme de Longueville et les héroïnes de Corneille.