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que sa cour, respectueux avec dignité, et dans la posture la plus indépendante. Il venait de perdre sa femme, la duchesse de Halluin ; il n’avait pas d’enfans, et songeait à se marier de nouveau. Depuis longtemps il connaissait la belle Marie ; il l’avait vue arriver à la cour et croître chaque année en beauté et en vertu ; il l’avait suivie et admirée dans toutes les vicissitudes, et, trouvant en elle une piété solide unie à l’esprit le plus charmant, une grâce parfaite avec une dignité qui imprimait le respect, il jeta les yeux sur elle pour en faire la compagne de sa vie. Le maréchal de Schomberg n’était pas un parti à traiter légèrement, et de toute manière il convenait et plaisait même à Mme de Hautefort ; mais, en digne élève de l’hôtel de Rambouillet, sans paraître insensible à ses hommages, elle les accueillit avec une extrême réserve, et laissa le noble guerrier soupirer quelque temps. Entre ces deux personnes si bien faites l’une pour l’autre, le seul obstacle était le peu de goût du maréchal pour les Importans et son loyal attachement à Mazarin. Les Importantes de l’intérieur de la reine, Mlle de Saint-Louis à leur tête, repoussaient l’idée d’un tel mariage, et le combattaient de toutes leurs forces, craignant que le maréchal ne leur enlevât leur meilleur appui auprès d’Anne d’Autriche. De son côté, par la raison contraire, Mazarin favorisait les démarches de Schomberg ; il comptait, ou qu’il amènerait sa femme à partager ses opinions et sa conduite, ou au moins qu’elle quitterait la tour pour suivre son mari dans son gouvernement[1]. Mme de Hautefort hésitait et mettait à l’épreuve les sentimens de son illustre amant. En attendant, elle demeurait fidèle à la cause de toute sa vie, et la servait avec son zèle accoutumé. Elle croyait Anne d’Autriche mille fois plus en danger dans sa toute-puissance qu’elle n’avait pu l’être, en 1637, sous la plus ardente persécution, car alors elle la croyait aussi pure qu’elle-même, digne en ses malheurs des respects du monde entier et de la sainte amitié des religieuses du Val-de-Grâce et des Carmélites, tandis que maintenant elle se demandait quel charme mystérieux la soumettait à l’héritier de Richelieu, et qu’elle voyait avec douleur sa royale amie sacrifier leur commun idéal de piété et de vertu à ce qui lui semblait un attachement vulgaire. Plus elle aimait la reine, plus elle s’enhardissait à combattre le penchant qui de jour en jour l’entraînait davantage vers Mazarin ; elle ne cessait de l’avertir ; elle la blessait et la tourmentait. La reine passait sa vie dans un embarras douloureux, et l’inquiétude de Mazarin croissait chaque jour. La lutte était trop vive pour durer longtemps ; elle

  1. La vie imprimée ni même la vie manuscrite ne disent pas qu’en 1643 le maréchal de Schomberg rechercha Mme de Hautefort. Nous devons ce curieux renseignement aux carnets de Mazarin. IIIe carnet ; p. 4.