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demandait un prompt dénoûment. Il vint bientôt, et du côté d’où on l’aurait le moins attendu.


V

Nous avons raconté[1] les divers événemens qui tout à coup vinrent changer la face de la cour et des affaires, la bizarre querelle de Mme de Longueville et de Mme de Montbazon, l’insolente soumission de celle-ci, son exil, les fureurs du parti des Importans, la conspiration ourdie contre Mazarin par Mme de Chevreuse et par le duc de Beaufort, le mauvais succès de cette conspiration, l’arrestation de Beaufort, la dispersion de sa famille et de ses amis, l’éloignement de Mme de Chevreuse, enfin l’absolu triomphe du cardinal. Mais ce triomphe eût été mal assuré, si l’heureux vainqueur eût eu l’imprudence de laisser auprès de celle qu’il aspirait à gouverner des ennemis moins violens, mais presque aussi dangereux. Mazarin n’hésita pas ; en même temps qu’il frappait Beaufort et Mme de Chevreuse avec leurs complices réels ou apparens, il renvoya dans leurs diocèses l’évêque de Beauvais, l’évêque de Limoges, l’évêque de Lisieux ; il destitua successivement La Châtre, Chandenier, Tréville, et ne voulant pas qu’Anne d’Autriche entendit une voix qui ne fût pas l’écho de celle de son ministre, il pénétra jusque dans son intérieur, avertit sévèrement ses dames d’honneur, gagna les unes, écarta ou intimida les autres. Deux femmes seules restèrent debout, que soutenaient leur naissance, leur dévouement éprouvé et la haute estime dont elles étaient environnées : Mme de Sénecé, première dame d’honneur et gouvernante du roi, et la belle et fière dame d’atours, toutes deux ouvertement contraires à Mazarin, mais au-dessus de tout soupçon d’avoir eu la main dans aucune manœuvre déloyale. Le cardinal faisait d’ailleurs entre elles une grande différence. Il savait qu’avec toute sa vertu Mme de Sénecé était ambitieuse, et que si elle voulait mettre à sa place l’évêque de Limoges, ou De Noyers, ou Châteauneuf, elle entendait bien tirer parti de leur élévation pour elle-même et pour sa famille ; il comprit donc qu’en faisant pour elle ce qu’elle espérait de ses rivaux, il parviendrait à amortir ses ressentimens, sans donner à la reine l’extrême déplaisir et le mauvais air de mettre en disgrâce une personne de cette qualité et de cette considération. La redoutant moins, il la supporta davantage, et dirigea toutes ses batteries contre Mme de Hautefort.

Déjà l’amitié de la reine pour Mme de Hautefort avait reçu bien des atteintes, et plus d’une scène pénible avait eu lieu entre Anne d’Autriche et son ancienne favorite.

  1. La duchesse de Chevreuse, livraison du 15 décembre 1855.