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charges, que sa fortune était à peu près perdue, qu’il avait besoin d’un riche mariage pour rétablir ses affaires, et que s’il persistait à l’épouser, sa maison était ruinée sans ressources ; qu’elle s’adressait donc à l’amitié même qu’elle témoignait à son frère pour prévenir un tel malheur. On peut se faire une idée de l’impression que fît un pareil discours sur Mme de Hautefort. On lui demandait le sacrifice de sa dernière espérance. Que diraient la cour et Paris d’une rupture aussi imprévue, qu’on ne manquerait pas de rapporter à quelque cause injurieuse ? Pourquoi l’avoir tirée du couvent, où, après ce public affront, elle ne pouvait plus rentrer avec le même honneur ? Comment M. de Schomberg n’avait-il pas fait toutes ses réflexions avant de prendre un engagement aussi sérieux, et comment l’aimait-il si peu de les faire au moment suprême ? Et puis Mme de Liancour était-elle bien l’interprète de son frère ? Elle-même, en vérité, était-elle obligée d’immoler son bonheur à la fois, et son honneur à des considérations qui lui paraissaient bien peu dignes et d’elle et de celui qu’elle commençait à aimer ? L’affection, l’ambition, la générosité, le dépit, la honte, se livraient dans son cœur le plus douloureux combat. La générosité l’emporta ; elle n’entendait pas nuire à M. de Schomberg, et elle promit à sa sœur que le mariage qu’elle redoutait ne se ferait point. À peine Mme de Liancour était-elle sortie, que la pauvre femme, épuisée par le noble effort qu’elle venait de faire, tomba dans une affliction voisine du désespoir. Elle était résolue, mais inconsolable et malheureuse. Quelques jours après, étant restée au lit assez tard, malade et désolée, elle reçut la visite d’un ami de M. de Schomberg, qui leur servait d’intermédiaire, M. de Villars, et elle s’apprêtait à lui dire qu’elle connaissait la situation et les nouvelles réflexions du maréchal, et lui rendait sa parole, quand M. de Villars se mit à la gronder d’être si paresseuse, tandis que lui s’était levé de fort bonne, heure pour faire les publications de son mariage à sa paroisse et à celle de M. de Schomberg, et en même temps il lui remit une lettre du maréchal, la plus pressante et la plus amoureuse. Mme de Hautefort ne savait que penser et demeurait interdite. Sur ces entrefaites arriva Mme de Liancour, qui, rougissant de sa faiblesse et confuse de sa conduite, se jeta dans ses bras, lui confessa ses vrais sentimens, la supplia de tout oublier et d’être sa sœur.

Ainsi se termina la partie romanesque de la vie de Mme de Hautefort ; elle devint duchesse de Schomberg, le 6 septembre 1646, à l’âge de trente ans. Depuis, sa destinée a été aussi paisible que sa jeunesse avait été orageuse. Arrêtons-nous sur le seuil de cette nouvelle carrière où la noble femme se surpassera elle-même, où sa vertu demeurera sans tache, où elle sera tour à tour une tendre