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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/308

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Ce singulier épisode aurait pu être conçu avec plus de netteté ou du moins développé avec plus d’art. On n’aperçoit pas assez distinctement les précieuses richesses qu’il renferme. La pensée souvent subtile, a besoin des commentaires que je viens d’y joindre. M. Léopold Kompert revient ici aux nobles préoccupations philosophiques et religieuses qui donnent tant d’attraits à ses premiers écrits, mais l’inspiration était plus claire dans les Juifs de Bohême et les Scènes du Ghetto. Cette inspiration, c’est la tolérance, c’est la sympathie pour toutes les croyances sincères et aussi un désir manifeste d’abaisser peu à peu les barrières qui séparent la tradition judaïque des enseignemens de l’Évangile. M. Léopold Kompert, dans l’une des plus touchantes histoires de ses Juifs de Bohême, appelait Jésus-Christ le blond rabbin de Nazareth : gracieuse façon d’accoutumer ses frères à voir dans l’Évangile ce que l’Évangile a été en effet, la continuation et l’achèvement de l’ancienne loi. Ces deux figures, le catholique Wojtêch et le rabbin Élie, sont encore l’expression de la même idée. Par un renversement des rôles aussi touchant que bizarre, le catholique est ici le défenseur farouche de la fidélité judaïque, et c’est le rabbin qui lui donne l’exemple d’une inspiration plus aimante. Y a-t-il donc si loin du judaïsme à l’Évangile ? Non, certes ; il suffit que l’idée de sympathie générale et humaine prenne la place de la tradition étroitement nationale, et aussitôt une révolution s’accomplit chez les enfans d’Israël. Cette révolution s’est faite il y a dix-huit cents ans, et elle s’appelle le christianisme Voilà ce que veut dire M. Kompert ; pourquoi faut-il que cette pensée, si claire, si vivante, si dramatique dans maintes peintures des Juifs de Bohême soit enveloppée ici de voiles bizarres qui en offusquent la lumière ? Je reprocherai aussi à M. Kompert de ne pas avoir assez intimement rattaché ce curieux épisode au fond même du récit. La fille du magistrat, aimée à la fois d’Anschel et d’Élie, et qui devient un instant l’un des personnages principaux de ce drame psychologique, apparaît à peine dans le tableau comme une ombre incertaine. La mort subite d’Élie, la mort de sa fiancée qui suit de près, ont je ne sais quoi de fantastique et d’obscur. Il y a là des lacunes, des maladresses, qui impatientent le lecteur. La pensée morale n’est pas suffisamment soutenue par la poésie.

Heureusement, si toute la partie religieuse manque trop souvent de précision, M. Léopold Kompert prend sa revanche dans ce qui est en définitive le sujet même du livre, je veux dire l’éducation rustique et la transformation virile de ses héros. Wojtêch continue le donner à Anschel ces mâles leçons dont toute la famille recueillera le bénéfice, car bientôt l’activité du fils unie à la confiance de Tillé détournera les pensées inquiètes qui assiègent l’esprit de Rebb Schlome, et Nachime elle-même, touchée d’un tel spectacle, aura