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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/327

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avenir. Pour sentir sa honte et retrouver la puissance de la secouer, il fallait que le peuple de Charles-Martel et de saint Louis s’incarnât dans un type héroïque, et que cette génération, abaissée par le malheur, reprît confiance en Dieu en le voyant s’incliner vers elle.

La France tenait une trop grande place dans l’économie générale des idées et des choses pour que la Providence la laissât périr faute d’un miracle pour la sauver. À la veille du jour où elle allait devenir le point d’équilibre entre les croyances catholiques et les aspirations naissantes du monde moderne, elle ne pouvait disparaître comme une peuplade obscure sous une invasion qui n’était pas même l’œuvre d’un grand peuple, mais celle d’une dynastie destinée à ne laisser dans l’histoire britannique que le souvenir des plus stériles forfaits.

L’Europe considérait sans doute comme perdue la cause de ce roi vagabond, sans royaume, sans armée, sans prestige personnel, et lorsque le comte de Salisbury fut parvenu à enlacer Orléans dans un cercle de bastilles réputées imprenables, l’on tint pour certain au dehors, tous les témoignages du temps l’attestent, que cette ville devrait bientôt succomber, malgré l’héroïsme de ses habitans, chez lesquels survivaient, comme au cœur même de la nation expirante, les dernières étincelles du patriotisme français. Mais le peuple dans ses chaumières n’en jugeait ni comme l’étranger, ni comme les bourgeois et les seigneurs qui avaient livré la France. Ce peuple était sans doute incapable de rien tenter d’efficace dans l’épuisement auquel il avait été réduit ; cependant il persistait à espérer contre toute espérance, et lorsque le sol de la patrie se dérobait sous ses pieds, il se réfugiait dans l’inviolable domaine de son imagination et de son cœur ; il attendait son salut non de la terre, mais du ciel, non de la force, mais de la faiblesse. Des prophéties circulaient depuis longtemps dans toutes les provinces, annonçant à cette nation, qui avait vu se dérouler tant de scandales, que la France, perdue par une femme, serait un jour sauvée par une femme.

Je n’entends point reprendre ici en sous-œuvre la thèse fameuse que tous les grands événemens de l’histoire ont été prédits ; mais en s’en tenant strictement au temps qui nous occupe, il est certain que l’attente d’une libératrice envoyée pour mettre un terme aux maux de la France était dans la première partie du XVe siècle une croyance aussi répandue que l’avait été dans le monde romain, à la veille du grand avènement, l’opinion antique et constante qu’un être mystérieux sortirait bientôt de la Judée pour conquérir et gouverner le monde[1]. Des prédictions attribuées à Merlin annonçaient que le

  1. ) « Pluribus persuasio inerat antiquis sacerdotum litteris contineri ex ipso tempore fore ut vale ceret Oriens, profectique Judeâ rerum potirentur. » (Tacit., Histor., lib. V, ch. 13.) — « Percrebuerat Oriente toto vetus et constans opinio esse in fatis ut eo tempore Judeâ profecti rerum potirentur. » (Sueton., in Vespas.)