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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/328

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salut viendrait à la France d’une vierge sortie d’un bois épais, situé sur les frontières de la Lorraine, et ces prédictions, très souvent alléguées par Jeanne elle-même, exercèrent une grande influence et sur l’opinion publique à Vaucouleurs, lorsqu’elle y annonça sa mission, et sur le roi, qui ne se résolut à l’entendre que contre l’avis de la plupart de ses conseillers[1].


III

Le drame d’où sortit le salut du royaume commença dans une obscure vallée enlacée dans les possessions de la Lorraine et de l’empire. Entouré de garnisons bourguignonnes qui occupaient presque toutes les places voisines, séparé par cent lieues de pays des provinces demeurées fidèles à Charles VII, le village de Domremy, si pauvre et si éloigné qu’il fût du centre des luttes politiques, en avait reçu le contre-coup et gardait à la royauté et à la France une fidélité que l’histoire constate sans l’expliquer. Les habitans de ce poste avancé du royalisme perdu dans des provinces depuis longtemps soumises au gouvernement anglo-bourguignon aimaient cordialement le roi de France, et haïssaient l’Anglais de la haine vigoureuse qui enflammait en ce moment-là le cœur des défenseurs d’Orléans. Les déclarations de Jeanne à son procès constatent l’énergie des passions populaires au fond de ce hameau, dont les enfans engageaient chaque jour des luttes sanglantes contre ceux des localités voisines qui, professant généralement des opinions bourguignonnes, insultaient par leurs sarcasmes au droit du soi-disant dauphin[2]. Les horreurs de la guerre n’avaient pas épargné ce coin de terre dans ces temps affreux où les biens de tous appartenaient au premier occupant, la France, selon l’heureuse expression d’un contemporain[3], ressemblant alors à la mer, où « chacun a autant de seigneurie comme il a de force. »

Au milieu de ces périls et des souffrances qui en étaient la suite journalière, naquit à Jacques d’Arc et à Isabelle Rommée, honnêtes cultivateurs de Domremy, une fille qui vint ajouter une charge nouvelle

  1. « Prophetisatum fuit quod Francia per mulierem deperderetur, et per unam virginem de Marchiis Lotharingiae restaurari debebat. » (Proc. de réhabilit., II, p. 477, III, p. 133.) — « Erant prophetiae dicentes quod ceircà nemus quod vocareturv gallicè le Bais-Chenu, debebat venire quaedam. puella quae faceret minrabilia. » (Proc. De condamn., I, p. 68, 213.)
  2. Procès de condamn., t. Ier, p. 66.
  3. Alain Chartier.