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dans cette terre promise de la royauté, dont un ange lui ouvrait l’entrée. Alors s’accomplirent les symboliques cérémonies qui, dans la pensée de Jeanne, étaient la consécration nécessaire du pouvoir : debout près de l’autel, sa bannière à la main et le visage inondé de larmes, elle goûta l’une de ces joies recueillies et profondes qui laissent deviner les joies du ciel.


VI

Sitôt après la phase de sa gloire s’ouvrit celle de sa passion. Ce n’est pas que Jeanne crût sa mission terminée à Reims, ni que celle-ci le fût en effet, selon une opinion si universellement accréditée qu’il faut pour la combattre s’armer d’irrésistibles autorités. M. Quicherat a prouvé qu’après le sacre Jeanne ne se croyait pas moins qu’avant cette époque dans la plénitude de son action surnaturelle ; il a établi, par les affirmations réitérées de la pucelle et par les dépositions de tous les témoins de sa vie, que la plus fausse interprétation d’un texte incomplet a pu seule faire prévaloir la croyance que Jeanne avait consenti, par condescendance pour le roi et peut-être par faiblesse pour elle-même, à prolonger son rôle militaire au-delà du terme assigné par son inspiration intime[1]. La pucelle promettait de conduire le roi à Paris avec autant d’assurance qu’elle s’était engagée à le mener à Reims ; elle répète plusieurs fois durant le cours de son procès que sa mission n’est point terminée, et qu’elle se sent aussi assistée qu’au premier jour. En présence de l’ennemi qui la retient dans ses fers, elle déclare avoir conçu l’espérance de conduire elle-même une armée française en Angleterre pour y délivrer le duc d’Orléans prisonnier[2]. Enfin la poésie contemporaine, venant compléter et colorer l’histoire, attribue à Jeanne l’intention formelle de faire suivre la délivrance de la France de celle de la terre sainte, confondant ainsi dans l’œuvre de la pucelle les plus constantes aspirations de sa patrie[3].

Dans ses plus mauvais jours, Jeanne est aussi fière et, à bien dire, aussi confiante que dans ses plus magnifiques triomphes. Pourtant les dix mois qui s’écoulèrent depuis le sacre de Reims jusqu’au siège de Compiègne ne furent pour la pucelle qu’un enchaînement de douleurs et de revers à peine interrompu par quelques succès. Blessée sous les murs de Paris elle est prise dans une sortie ; écrasée sous des malheurs dont le commandement nominal de l’armée ne lui permet

  1. Nouvelles Observations sur l’Histoire de Jeanne d’Arc, 1850, p. 40. Voyez dans cette brochure la rectification des textes altérés depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, particulièrement celui de la Chronique anonyme de la Pucelle.
  2. Interrogatoire du 12 mai 1431, t. 1er, p. 133.
  3. Vers de Christine de Pisan datés du 31 juillet 1429.