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cations de Mme de Lubner, il s’en tira sans trop d’encombre ; mais, comme il allait finir, elle l’interrompit :

— Vous ne me parlez pas de la Nouvelle-Orléans ? dit-elle. N’y êtes-vous donc pas allé ?

Gérard éprouva un moment d’embarras.

— Oui, reprit-il enfin, j’y suis allé.

Il y eut un instant de silence, pendant lequel Gérard cherchait ses mots et arrangeait une réponse habile.

— J’y suis ! s’écria-t-elle ; vous n’avez fait qu’y passer, après quoi vous êtes parti… on n’a jamais su pour quel pays.

Tout en parlant, Thérèse chiffonnait les rubans de son corsage, les yeux en l’air, comme si elle eût cherché dans le ciel le nom du pays mystérieux vers lequel son ami avait dirigé sa course. Gérard tremblait qu’un éclair de raison ne lui fît entrevoir la vérité ; mais la lune, qui parut au-dessus de la haie, large et brillante, détourna les pensées de la jeune fille. Elle se leva d’un bond.

— Je vous l’avais bien promise, s’écria-t-elle, la voilà ! la voilà !

Elle entraîna Gérard au sommet d’un petit kiosque d’où l’on voyait la campagne, alors baignée d’une vapeur lumineuse, et, s’asseyant à ses pieds, elle posa la tête sur les genoux du jeune homme avec l’abandon naïf d’un enfant.

Les visites, une fois commencées, se renouvelèrent. Gérard éprouvait un charme indéfinissable dans la compagnie de cette aimable fille, dont l’esprit se dépouillait lentement, mais avec des grâces infinies, des voiles où la tristesse et le silence l’avaient quelque temps enlacé. Il ne pouvait dire s’il l’aimait ou si la pitié seule le ramenait à la porte verte du jardin ; mais il ne pressait plus les hommes d’affaires et les laissait complaisamment embrouiller l’inextricable écheveau de formalités dans lequel la succession de sa tante était prise comme dans un filet. Quand il rentrait le soir dans son hôtel, il se demandait bien quelquefois comment finirait cette aventure ; mais, comme il ne se sentait pas la force d’agir à la façon d’Alexandre tranchant le nœud gordien, il s’endormait et n’y pensait plus.

Mme de Lubner s’inquiétait bien aussi de cette rencontre dont le hasard avait fait une intimité. Quelles n’en pouvaient pas être les conséquences ! Mais le bien-être qu’en ressentait sa pupille, le calme, la joie, la vivacité qu’elle lisait dans ses traits ranimés par le souffle de la vie étaient autant de résultats qui faisaient taire la voix de la prudence. Dans l’existence pâle et déshéritée que lui avait faite le hasard, devait-elle priver Thérèse de cette suprême consolation ? Elle laissait donc conversations et promenades suivre leur cours.

Thérèse était bonne musicienne ; il lui arrivait souvent, le soir, quand la pluie ou le vent ne permettait pas de rester au jardin,