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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/397

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vine et de la Galicie[1]. On parle même d’une route qui perçait la Bessarabie jusqu’à Bender. Au contraire les Barbares devenaient-ils redoutables, faisaient-ils irruption, tout se repliait dans la ceinture des Carpathes. C’est ce qui arriva quand Aurélien (en 274) abandonna la rive gauche du Danube : il ne put ramener sur l’autre rive qu’une partie de la colonie ; les plus pauvres, les plus robustes ou les plus attachés au sol refusèrent de le suivre. Ils se renfermèrent de nouveau dans l’enceinte des montagnes et laissèrent passer les Barbares : ceux-ci se répandaient sur la contrée ; mais comme le système savant des Romains leur échappait entièrement, ils ne l’imitaient pas ; ils laissaient ce qui restait de la population daco-romaine se réfugier, s’abriter, respirer dans les replis des défilés. Vainement les invasions succédèrent aux invasions ; elles ne réussirent pas à extirper ce débris de peuple, représentant de la civilisation antique, et c’est ainsi que les langues diverses, le flux et le reflux des races étrangères, les débordemens de nations qui se sont survis sans intervalles jusqu’à nos jours, Goths, Avares, Gépides, Huns blancs, Bulgares, Tartares, Magyars, Albanais, Turcs, Russes, Autrichiens, n’ont pu encore abolir dans la langue et dans la race cette première empreinte romaine. Les flots du Danube, en passant jour et nuit depuis dix-sept cents ans, n’ont pu jusqu’ici emporter les piles du pont de Trajan ; dès que les eaux sont basses, on en voit surgir d’immenses restes entre les villages de Falistan et de Severin.

II. — la langue roumaine. — renaissance littéraire.

Le premier titre des Roumains, le plus frappant, est incontestablement leur langue. Après l’avoir longtemps méprisée, ils en sont fiers, et ils ont raison. C’est leur vraie marque de noblesse au milieu des Barbares. Ils se vantent de l’avoir pieusement conservée. Et quelle persévérance, quelle ténacité ne suppose pas un héritage si bien gardé ! En se réveillant après une longue mort, ils n’ont trouvé autour d’eux aucun monument écrit, aucun grand écrivain national qui témoignât de leur passé. Au milieu de cette nuit profonde de leur histoire, ils n’ont trouvé, pour s’orienter à travers l’espèce humaine, qu’un écho de la parole antique dans la bouche des paysans, des montagnards, des plaéssi (chasseurs). L’étude des origines, qui n’a chez nous qu’une valeur littéraire, est pour eux la vie même. Asservis dans tout le reste, ils n’ont gardé que la liberté de choisir entre les élémens de leur Vocabulaire ceux qu’ils préfèrent.

Vie nationale, richesses, œuvres de leurs mains, on leur a tout enlevé, tout arraché, excepté leur langue indigène, que l’étranger fait

  1. Laurianu, Istoria Româniloru, partea I, p. 137, 138 ; Jassy 1853.