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d’abattement ; aussi je pense qu’Edith n’est pas un personnage librement créé, mais un écho. Après avoir lu la Symphonie des Morts, on peut se demander si ces pages poignantes appartiennent bien à l’auteur des Poèmes évangéliques, si l’intelligence qui a choisi pour thème de ses prédications les travaux et la mort du précurseur est bien la même à qui nous devons ce tableau désolé de la nature en novembre. Cependant, au milieu des images funèbres accumulées à profusion par M. de Laprade, il est facile de distinguer plus d’une image dont le sens est tout différent. Il comprend et il exprime avec une impitoyable fidélité tous les murmures mystérieux, tous les sifflemens sinistres qui semblent railler l’espérance et dire à la veuve, à la femme délaissée, à l’amant trahi : Ne comptez pas sur l’avenir ! car l’avenir sera pareil au passé, s’il n’est pire encore.

Mais une idée consolante se laisse entrevoir dans cette morne élégie. L’aïeul assis au foyer solitaire, malgré les rudes coups qu’il a reçus, malgré la mort qui lui a ravi ceux qui devaient lui fermer les yeux, ne doute pas de la sagesse divine. Il accepte sans colère les conseils qu’il ne lui est pas donné de sonder. Il représente avec une majesté sereine la religion de la famille. Cette figure de l’aïeul suffit pour réconcilier la symphonie funèbre avec les Poèmes évangéliques. Je ne reprocherai pas à M. de Laprade d’avoir donné à Edith trop de sagacité, ou tout au moins trop de subtilité. Je ne lui demanderai pas pourquoi elle parle d’elle même et de ses blessures avec tant de précision. Dès les premières strophes en effet il est facile de deviner qu’Edith parle pour le compte du poète. Parmi les plaintes qu’elle profère, j’en sais plus d’une qu’une femme ne saurait trouver malgré tous les enseignemens de la douleur, et pourtant je ne songe pas à blâmer le désaccord du personnage et de l’accent que le poète lui a prêté, car pour saisir ce désaccord il faut soumettre les paroles d’Edith à l’examen le plus attentif ; elle n’a pas de condition déterminée, et le lecteur accepte sans étonnement comme une douleur de femme la douleur qu’elle traduit en strophes éloquentes. Insister sur la nuance que j’indique serait substituer à l’amour de la vérité une passion puérile pour l’exactitude littérale.

Quant à la partie technique, la Symphonie des Morts n’est pas à l’abri de tout reproche. L’auteur fait un usage trop fréquent des rimes plates, et paraît méconnaître l’importance des rimes croisées dans la forme lyrique, si bien que sa pensée, lors même qu’elle est grande et revêtue d’images bien choisies, prend parfois un aspect prosaïque. Pour avoir négligé de charmer l’oreille par des sons alternés, il lui arrive d’allanguir l’expression du sentiment qu’il veut rendre. Si M. de Laprade prend la peine d’y réfléchir, il ne commettra plus cette faute. Les rimes plates ne conviennent qu’à l’alexandrin, encore faut il y renoncer dès que l’alexandrin se partage