contemplation de lui-même, il revient dans l’enceinte des villes meilleur et plus affermi dans la notion du juste et de l’injuste. Il a pour le droit plus de respect, pour la perversité, pour l’avilissement moral plus de mépris et de haine. Aussi je ne pense pas à proscrire l’usage de la solitude. Le séjour des montagnes et des glaciers donne aux âmes élevées, aux âmes que l’étude a préparées à l’intelligence de la nature, au sentiment de la volonté divine, des joies exquises que l’enceinte des villes leur refusera toujours. Qu’elles s’abreuvent donc à cette coupe enivrante ! celui qui les raillerait s’accuserait lui-même d’infirmité ; mais qu’elles ne prennent pas la solitude pour le but de la vie, qu’elles ne proclament pas la perversité comme le fruit unique de la civilisation. Que, dans le champ moissonné par les passions humaines qui s’appelle l’histoire, l’ivraie se mêle au bon grain, que souvent elle appauvrisse les épis qui promettaient la plus abondante richesse, je le reconnais volontiers. Pour le nier, il faudrait avoir les yeux couverts d’un triple bandeau. Est-ce une raison légitime pour déserter la cause de la civilisation, pour abandonner à l’inaction, à la stérilité le sillon creusé par nos pères, pour nous croiser les bras ou nous endormir dans l’immobilité des sphinx ?
M. de Laprade n’est sans doute pas de cet avis, et cependant sa Symphonie alpestre, si on le prenait au mot, mènerait droit au mépris de toute activité intellectuelle. Il parle, il est vrai, de la nature et de Dieu en termes magnifiques, il abaisse l’ambition humaine devant les conseils de la Providence ; mais il ne laisse vraiment subsister comme légitime que l’activité musculaire. Suivre la trace des chamois, gravir les cimes qu’ils ont gravies, serait désormais la seule gloire que l’homme dût se proposer. Franchir d’un bond vigoureux les abîmes que l’œil n’a pas sondés serait sa plus noble ambition. Les affections dévouées, les méditations fécondes, les volontés persévérantes, tous les mouvemens généreux dont se compose la vie des nations seraient bientôt réduits à néant. Si toutes les âmes élevées prenaient la route de la solitude, il ne resterait plus dans les villes que les âmes livrées aux plus sordides intérêts, aux plus viles passions. L’amour effréné du bien vivre dominerait seul dans ces enceintes, la notion du droit serait abolie, et l’homme vêtu de pourpre et de soie retournerait à la barbarie. Que M. de Laprade n’ait pas prévu, n’ait pas souhaité les conséquences de sa prédication en faveur de la solitude, je l’admets sans hésiter. Il n’est pourtant pas inopportun de les signaler. Obermann et René sont aujourd’hui estimés à leur juste valeur. L’éloquence de leurs plaintes n’enlève rien au danger de leurs rêveries. Plus ils trouvent de paroles persuasives pour peindre les angoisses de leur inaction, plus il est périlleux de leur prêter l’oreille. M. de Laprade n’appartient pas à la famille d’Obermann et de René, et pourtant à son insu il popularise, il