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ne peut être comprise dans son entier par l’intelligence de la foule. Vous aurez beau appeler à votre aide les images les plus éclatantes, les comparaisons les plus ingénieuses, vous ne réussirez jamais à faire de la raison pure une chose populaire. L’école écossaise, dont je ne mets pas en doute la bonne foi, a dit et répété que la philosophie n’est que le bon sens développé par la réflexion. J’accepte sans réserve cette définition, qui a tout l’attrait de la nouveauté, mais je demande la permission de l’analyser. Or que signifie le développement du bon sens par la réflexion, sinon l’étude elle même, sinon la science, que la foule ignore, dédaigne, ou n’a pas le temps d’aborder ? N’espérez donc pas populariser la philosophie, c’est-à-dire la science, en lui prêtant le charme de la forme poétique. Fussiez-vous doué du talent le plus merveilleux, vous échouerez dans cette périlleuse tentative. Obscur pour la foule, qui refusera de vous suivre, vous serez pour les savans inexact ou incomplet. Mais il y a dans la philosophie une part bien définie, dont la poésie peut faire son profit : c’est l’étude des passions. Que le poète, avant de sonder les plaies du cœur sur le vif, étudie une à une nos facultés, qu’il s’affermisse dans la connaissance de l’homme avant d’interroger les angoisses de l’amour et de la jalousie, les tortures de la haine, les folles espérances ou les joies égoïstes de l’ambition : quand il prendra la parole, il sera sûr d’être écouté. Il profitera de la science, et n’effraiera pas les ignorans. Ceux mêmes qui n’ont jamais ouvert un livre de philosophie accepteront sans résistance tous les enseignemens que le poète voudra leur offrir ; ils ne se défieront pas d’une science dont ils trouveront en eux mêmes tous les élémens. Que le poète essaie de dérouler à leurs yeux les transformations morales de l’humanité en tenant compte des temps et des lieux, qu’il tente de mettre en vers Herder ou Vico, et l’attention de la foule sera bientôt fatiguée. Or je ne crois pas me tromper en disant que M. de Laprade, en parlant de philosophie comme en parlant de religion, a méconnu la portée des intelligences auxquelles il s’adressait. Religieux et savant, il oublie que la foule ne peut suivre sans lassitude, sans découragement, le développement de sa pensée.

Cette double question une fois élucidée, nous avons à discuter une troisième et dernière question, celle de la poésie symbolique. Après ce que nous avons dit de l’emploi poétique de la religion et de la philosophie, il est facile de pressentir notre opinion sur la poésie symbolique, dont M. de Laprade est aujourd’hui le représentant le plus habile. S’il est vrai en effet, comme nous espérons l’avoir démontré, qu’il y a deux parts à faire dans la foi et dans la science pour les offrir à la foule revêtues du charme de l’imagination, le lecteur comprendra sans peine que la poésie symbolique, par la