nature même de la mission qu’elle s’est donnée, s’expose trop souvent à n’être pas comprise, ou bien à n’être comprise qu’à demi. De quelque manière qu’elle s’y prenne, à quelques artifices qu’elle ait recours, elle n’arrivera jamais à rendre populaire, intelligible à tous, le sens de toute émotion et de toute pensée. Cette interprétation délicate et mystérieuse de tous les momens de la vie ne sera jamais accessible qu’aux intelligences d’élite. Il ne faut pas espérer qu’elle devienne chose familière parmi les hommes qui ne sont pas habitués à la réflexion. Il y a pourtant dans l’Évangile des paraboles très claires, très faciles à saisir, qui passent à bon droit pour des types de poésie symbolique ; mais il est malaisé d’atteindre à cette simplicité. J’ajouterai que ces paraboles sont un argument de plus en faveur de la théorie que j’ai tâché d’établir, car elles supposent toutes l’ignorance des auditeurs : il n’y en a pas une qui présume la science.
La poésie symbolique ne doit donc pas s’étonner de l’indifférence de la foule, puisqu’elle offre à la foule presque autant de problèmes que de leçons. Elle ne lui fait pas assez de concessions pour exiger une croyance obéissante. M. de Laprade n’a pas encore obtenu la renommée qu’il mérite ; que ses amis s’en affligent entre eux, je le comprends ; ils auraient tort cependant de s’en plaindre publiquement, car la renommée ne se fonde pas sur l’approbation de quelques intelligences d’élite. La part faite dès à présent à l’auteur des Symphonies est assez belle pour qu’il s’en contente. S’il n’est pas populaire, si ses vers ne sont pas répétés par toutes les bouches, tous les connaisseurs, tous ceux qui ont vécu dans le commerce des philosophes, tous les penseurs l’honorent comme un des esprits les plus sincères, comme un des cœurs les plus généreux de notre temps. C’est un lot assez riche pour satisfaire son ambition.
Si pourtant la popularité le tente, si l’estime et l’approbation d’un cercle choisi ne lui suffisent pas, si la renommée bruyante est pour lui un besoin impérieux, il faut absolument qu’il change de route. Je ne lui conseille pas d’imiter les poètes applaudis qui descendent jusqu’à la foule au lieu de l’élever jusqu’à eux ; ce serait faire injure à son talent. Qu’il demeure dans les régions sereines où son âme s’est acclimatée, mais qu’il prenne l’auditoire dont il veut obtenir les applaudissemens tel qu’il est et non tel qu’il l’a rêvé ; qu’il se mette à la portée de tous, s’il souhaite vraiment que tous viennent l’entendre. Le conseil que je lui donne n’a rien qui puisse le blesser. Qu’il ne répudie rien de son passé, puisque les plus nobles pensées remplissent toutes les pages qu’il a signées ; qu’il se résigne à peindre ses émotions dans une langue plus familière, et la popularité lui viendra. Oui sans doute, les moindres événemens de la vie humaine