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LA PETITE COMTESSE.

mauvais ; elles avaient une tournure d’espièglerie plutôt que ce caractère de sérieuse méchanceté auquel se monte si aisément une haine de femme, et pour de moindres provocations que celles dont la petite comtesse avait eu à se plaindre. En résumé j’avais souri intérieurement plus d’une fois pendant cette escarmouche, et l’impression qu’elle me laissait sur le compte de mon ennemie était plutôt atténuante qu’aggravante. À l’éloignement et au dédain que m’inspirait la mondaine extravagante se mêlait désormais une nuance de douce pitié pour l’enfant mal élevée et pour la femme mal dirigée.

Les femmes sont habiles à saisir les nuances, et celle-ci n’échappa point à Mme de Palme. Elle eut vaguement conscience de mon léger retour d’opinion vers elle ; elle ne tarda pas même à s’en exagérer la portée et à prétendre en abuser. Pendant deux jours, elle me harcela de traits piquans que je supportai avec bonhomie, et auxquels je répondis même par quelques attentions, car j’avais encore sur le cœur les rudes expressions de mon dialogue avec Mme de Malouet, et je ne croyais pas les avoir suffisamment expiées par le faible martyre que j’avais subi le lendemain, en commun avec la belle veuve du Malabar.

Il n’en fallut pas davantage pour que Mme Bathilde de Palme s’imaginât qu’elle pouvait me traiter en pays conquis et joindre Ulysse à ses compagnons. Avant-hier, dans la journée, elle avait essayé à plusieurs reprises la mesure de son pouvoir naissant sur mon cœur et sur ma volonté en me demandant deux ou trois petits offices de cavalier servant, offices dont chacun ici ambitionne l’honneur avec émulation, et dont je m’acquittai pour ma part avec politesse, mais avec une froideur évidente. Ces jolis actes de servage ont quelquefois du charme, et surtout quand ils ne sont pas imposés ; mais tous les âges et tous les caractères ne sont point faits pour s’y plier avec la même bonne grâce. Les esprits graves et les naturels un peu raides, sans jamais se refuser d’une façon maussade à ce que peut exiger en ce genre le simple savoir-vivre, doivent s’en tenir au nécessaire et ne pas rechercher des fonctions que la jeunesse et une certaine souplesse élégante sauvent seules du ridicule.

Cependant, malgré l’extrême réserve avec laquelle je m’étais prêté tout le jour à ces épreuves, Mme de Palme crut à son entier succès ; elle jugea étourdiment qu’il ne lui restait plus qu’à river ma chaîne et à me joindre à son triomphe, faible supplément de gloire assurément, mais qui enfin avait à ses yeux le mérite de lui avoir été contesté. Dans la soirée, comme je quittais la table de whist, elle s’avança vers moi délibérément et me pria de lui faire l’honneur de figurer avec elle dans la danse de caractère qu’on nomme cotillon. Je m’excusai, en riant, sur ma complète inexpérience ; elle insista, me