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mais ce moment de l’action doit forcément arriver. Aux négociations récentes suivies entre les trois puissances signataires du traité du 2 décembre 1854 ont dû correspondre des engagemens dont la conduite ultérieure du cabinet de Vienne sera l’inévitable conséquence. Dans tous les cas, il y a un fait qui lie indissolublement l’Autriche aux puissances occidentales, ou, si l’on veut, qui l’éloigne de la Russie, et ce fait, c’est la participation du cabinet de Vienne à tous les actes qui ont condamné la politique des tsars, c’est la demande d’une cession de territoire faite par l’empereur François-Joseph à l’empereur Alexandre II, cession qui, après tout, importe plus à l’Allemagne qu’aux puissances occidentales. Voilà ce que l’Autriche ne peut oublier, parce que la Russie elle-même ne l’oubliera pas.

Alliée de plus fraîche date avec la France et l’Angleterre, la Suède de son côté ne décline nullement les conséquences du traité qu’elle a récemment conclu. Dans une circulaire diplomatique, le ministre des affaires étrangères de Stockholm maintient toute la portée de cet acte et laisse entrevoir le rapport qu’il a avec la grande question d’équilibre qui s’agite. On peut donc en conclure que la Suède a marqué d’avance sa place dans la lutte, au cas où la guerre devrait continuer.

Maintenant que sera cette guerre et quel caractère devra-t-elle prendre, si elle se prolonge ? C’est la vraisemblablement ce que le grand conseil militaire, réuni en ce moment à Paris, a pour objet d’examiner. Quoi qu’il en soit, au moment où la question s’agite encore, il est bien permis d’envisager nettement les chances, les éventualités et même les difficultés de la guerre, si elle doit continuer. Que les hostilités se poursuivent en Orient, qu’elles soient transportées dans la Baltique, il faut s’attendre à de sérieux obstacles ; les sacrifices s’accroîtront chaque jour. La Russie elle-même, de son côté, après avoir éprouvé des pertes immenses, aura encore à essuyer des coups terribles, d’autant plus terribles que la lutte deviendra plus extrême et plus acharnée. C’est donc un moment décisif de nature à faire réfléchir les hommes d’état qui tiennent dans leurs mains les destinées de trois grands peuples. Il est vrai qu’il y a des esprits pour qui tous ces formidables problèmes sont d’une solution très facile. Il est de ces esprits en France, et il en est en Angleterre, comme vient de le prouver M. Cobden dans une brochure sur la paix et la guerre. M. Richard Cobden est un partisan très convaincu, très invariable de la paix, qui n’a malheureusement qu’un tort, celui de desservir cruellement la cause qu’il prétend faire triompher. La brochure du célèbre Anglais ressemble un peu à un programme de gouvernement ; c’est le résumé de ce que l’auteur, ferait et ne ferait pas, s’il était appelé au ministère. Ce que n’eût point fait à coup sûr M. Cobden, même dès l’origine, c’est la guerre ; il eût obtenu sans nul doute de l’empereur Nicolas l’abdication de ses desseins, et, s’il n’avait point réussi, il aurait, ce nous semble, laissé envahir la Turquie. Voilà pour le passé. Ce que M. Cobden se hâterait de faire aujourd’hui, s’il était premier ministre de la Grande-Bretagne, c’est la paix. La proposition est très concevable de la part d’un homme qui n’eût jamais fait la guerre ; par malheur, elle n’offre point une très claire solution des problèmes qui pèsent en ce moment sur l’Europe. La Russie selon toute probabilité, ne demanderait pas mieux que d’avoir à traiter avec