Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien plus le socialisme indirect, inconséquent, et pour ainsi dire involontaire. « Le socialisme ! s’écriait un membre du gouvernement provisoire en 1848, le socialisme c’est la peste ! » À quoi M. Léon Faucher répondait : « Oui, vous avez raison, c’est la peste ; mais vous êtes tous malades de la peste. » C’était justement dit. Le socialisme le plus dangereux et le plus menaçant n’est point celui qui s’affiche et s’annonce comme une destruction violente ; c’est celui qui se cache et s’insinue, qui prend toute sorte de déguisemens rassurans, et se croit au besoin conservateur et libéral. Dans le monde même, il y a une multitude de gens qui frémiraient si le socialisme grondait à leur porte, et qui ne s’en émeuvent guère, pourvu que la Bourse tienne ses séances, que l’industrie fleurisse, et que les affaires suivent leur cours. C’est l’indice d’une société mal affermie dans sa foi, qui ne porte plus dans son sein cette vigoureuse défense d’une puissante conviction morale, et ne se sent pas suffisamment soutenue par l’intelligence, troublée elle-même et affaiblie quand elle n’est pas la première complice de ses erreurs ou de ses penchans.

Aussi bien n’est-ce point la le signe réel et caractéristique d’une époque dont les agitations se résolvent dans une indécision universelle ? L’intelligence, il serait bien inutile de le nier, a contribué singulièrement à inoculer à la société moderne bien des faiblesses dont elle souffre. Par ses théories, par ses peintures, par ses travestissemens de tout genre, elle a jeté dans l’âme de la société contemporaine le doute sur ses propres principes et ses propres lois. Dans ce jeu redoutable, l’intelligence n’a trouvé ni la suprématie ni une force nouvelle ; elle s’est affaiblie au contraire, comme s’affaiblit tout pouvoir qui perd le gouvernement de lui-même ; elle a laissé s’altérer la notion de ce qui faisait sa puissance en la réglant. Si on examine de près, il est visible que depuis quelques années il y a dans la vie intellectuelle un déclin ou, si l’on veut, une halte, un moment d’incertitude et d’attente. Bien des œuvres, offrant un intérêt élevé à l’esprit ou un attrait à la curiosité, ont été mises au jour et sont publiées encore sans doute ; mais, qu’on l’observe bien, parmi ces œuvres, les unes ont été conçues et commencées dans un autre temps, et elles sont aujourd’hui simplement continuées ; d’autres sont les fruits nouveaux d’esprits formés également dans une autre atmosphère et restés fidèles à eux-mêmes, à leur jeunesse, à leurs idées. Il y en a eu enfin dans les dernières années, et celles-là n’ont point été les moins curieuses, qui étaient, à vrai dire, des collections de documens : révélations nouvelles et éclatantes sur un événement, un caractère ou un personnage de l’histoire. Mirabeau s’est montré avec une physionomie à peine entrevue jusque-là. Napoléon s’est peint dans ses lettres avec le relief étrange et inflexible de sa nature d’airain. Les œuvres n’ont donc pas manqué. Ce qui a manqué, ce qui manque encore, c’est l’œuvre actuelle, c’est la génération nouvelle, sérieuse et bien inspirée, venant recueillir le souffle et les traditions de la génération antérieure, c’est la spontanéité et la fécondité de l’intelligence contemporaine. À travers le torrent des choses humaines, la pensée semble contempler du rivage un mouvement auquel elle n’est certes point étrangère, mais dont la direction lui échappe, et où sa place semble diminuer chaque jour. Une année vient de s’écouler encore ;