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intentions au sujet du différend avec l’Angleterre ; mais plus on réfléchit à cette question et à l’état des esprits de part et d’autre, plus il paraît probable qu’on fera des deux côtés les concessions nécessaires pour éviter une rupture. Cependant à Washington on pourrait être entraîné assez loin par des calculs de parti qui nulle part ne dominent la politique comme aux États-Unis, par le sentiment de la fausse position où se sont mis plusieurs membres du cabinet fédéral dans la conduite de cette affaire, et par l’opinion répandue en Amérique, à tort ou à raison, que des deux peuples c’est le peuple anglais qui, dans les circonstances actuelles, appréhenderait le plus une guerre avec l’Union. On doit reconnaître d’ailleurs que le gouvernement fédéral, soit modération sincère, soit effet de l’affaiblissement qui résulte pour le pays tout entier de la division des esprits, désavoue de plus en plus les tendances envahissantes pour lesquelles sa diplomatie avait montré tant de complaisance, et dont elle avait, de son propre mouvement sans doute, favorisé les plus audacieuses manifestations. L’expédition de Walker au Nicaragua est formellement réprouvée ; les renforts qui se préparaient à l’aller rejoindre sont arrêtés ou dispersés ; l’envoyé du prétendu gouvernement des flibustiers, un sieur French, est nettement refusé, et aura peut-être à répondre devant la justice des méfaits qu’il aurait commis autrefois, et aux suites desquels il aurait échappé en allant se jeter dans cet asile de tous les aventuriers du monde, la Californie. On ne peut qu’applaudir à ces résolutions et féliciter le cabinet de Washington d’avoir secoué l’influence de cette compagnie du transit, qui est au fond de l’entreprise de Walker, et qui, après avoir eu le crédit de faire incendier Grey-Town, comptait sur la connivence secrète du gouvernement fédéral pour se rendre maîtresse du Nicaragua.

Les États-Unis prennent la même attitude envers le Mexique, et rien n’annonce qu’ils pensent à l’inquiéter en profitant de l’anarchie qui y règne. Néanmoins le général Gadsden s’y livre impunément pour son compte aux excentricités qui en font un diplomate à part, même dans une diplomatie indisciplinée et personnelle comme celle de l’Union. De Mexico et sous les yeux du président de la république, il entretient une correspondance officielle avec M. Vidaurri, comme si ce dictateur improvisé des provinces du nord était le chef légal d’un état indépendant. Ces irrégularités, que ne tolérerait pas un gouvernement sérieux, se passent au milieu du désordre, de la misère croissante et de la profonde désorganisation d’un pays où la démagogie révolutionnaire continue sans pitié le cours de ses ruineuses expériences. C’est un tableau qu’il nous répugne de tracer, et où l’on ne voit qu’un trait moins sombre, la réapparition du parti conservateur dans la presse politique, tandis que les radicaux et les clubs se discréditent chaque jour davantage et par les excès de leurs alliés les Indiens du sud, et par leur ineptie déclamatoire, et par leur impuissance à remonter la machine gouvernementale dont ils ont brisé ou faussé tous les ressorts.

CH. DE MAZADE.
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V. de Mars.