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ralentir sa marche, ni ceux qui le conjurent de la hâter n’ont obtenu le moindre succès. Saed subit la loi commune, et malgré ses larmes, malgré ses prières et certaine visite à un iman fort renommé pour son savoir et sa puissance surnaturelle, le jour des fiançailles, voire celui des noces, arrivèrent comme si de rien n’était.

IV.

La veille de ce jour funeste, Emina fut remise dès l’aube aux matrones du village voisin, auxquelles appartenait le privilège de la faire belle. La toilette des fiancées turques peut être considérée comme un premier degré de torture, apprentissage utile et salutaire sans doute à la jeune fille qui va entrer dans un harem. Emina fut donc revêtue : — d’une chemise en soie blanche, — d’un énorme pantalon de satin de Damas rayé jaune, noir, rouge, vert, — d’une seconde chemise en calicot blanc, — d’une petite veste en satin rose, — d’une veste plus ample et plus longue, en satin de Damas rouge à petites fleurs, — d’une énorme écharpe en cachemire français qui faisait huit ou dix fois le tour de sa taille, — d’une longue robe, que nous nommerions volontiers robe de chambre, traînant jusqu’à terre, ouverte sur les côtés et sur le devant, en satin de Damas pareil à celui du pantalon. Quant à la coiffure, elle consistait dans une calotte de coton blanc, dans un mouchoir roulé plusieurs fois autour de la calotte, dans un fez très élevé, en laine rouge, placé sur la calotte et le mouchoir, donnant à la coiffure la forme d’un pot en terre cuite renversé. Elle se complétait par un voile de crêpe vert, brodé en paillettes d’or, flottant sur le fez, et par un mouchoir de coton rouge qui, posé carrément sur la tête, couvrait le visage et descendait jusque sur la poitrine. Venait enfin une sorte de drap de lit qu’on nomme un voile en Asie, et qui enveloppait de la tête aux pieds la pauvre fille. On était alors à la mi-juin. Quant aux bijoux, nous parlerons d’abord de deux ou trois pendans d’oreilles fichés en différens points des oreilles d’Emina, et rattachés sous son menton par plusieurs chaînettes en or, en argent ou en perles, d’un médailler complet cousu sur une pièce d’étoffe et placé sur la poitrine de la victime, de quelques fleurs en diamans piquées sur le fez, et qui étaient, on s’en doute bien, un présent du futur.

C’est à regret que je poursuis la description rigoureusement exacte de cette toilette. Dire que les beaux sourcils châtains d’Emina étaient entièrement couverts par une ligne noire qui, partant d’une tempe, atteignait l’autre sans solution de continuité, et ne tenait aucun compte du nez, si ce n’est par un petit crochet géométrique destiné à en indiquer la naissance ; dire que son visage était enduit d’une