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couche blanche sur laquelle se détachaient au-dessous des pommettes des plaques d’un rouge de brique, et serpentaient à tort et à travers des zigzags bleuâtres imitant des veines, qu’un coup de brosse de laque masquait les lèvres, qu’un cercle aussi noir que la ligne des sourcils encadrait les yeux, que l’intérieur des mains et les ongles des pieds et des mains étaient badigeonnés en orange foncé, ce sont là des horreurs que je voudrais effacer de ma mémoire. Que sera-ce quand il me faudra ajouter que toute cette peinture était parsemée de petites étoiles de papier doré, fixées sur le visage de la pauvre enfant avec de la colle ! J’oubliais le pire : — les beaux cheveux d’Emina ayant été rasés la veille afin de la rendre plus digne de la couche d’un bey, on les avait remplacés par des queues de chèvre peintes en rouge et pendantes sur ses épaules ! Dieu soit loué, j’ai fini !

J’ai fini de décrire ce qui est laid, mais non ce qui est barbare. L’étiquette musulmane exige que la fiancée demeure ainsi affublée depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, que pendant ces longues heures elle ne soulève jamais son voile, qu’elle pleure toutes les larmes de son corps (l’obligation est opportune), et qu’elle ne prononce pas un mot. Emina n’exécuta pourtant pas à la lettre le programme des fiançailles, car elle ne poussa pas un seul cri. Pour morne et abattue, elle l’était dans la perfection, mais elle l’était trop véritablement pour faire du fracas. Lorsqu’une voisine entrait dans l’appartement des femmes, la fiancée, sortant du coin où elle était accroupie sur ses talons, allait droit à elle, lui baisait silencieusement la main, et retournait aussitôt dans son coin sans faire plus de bruit qu’une souris. Plus d’une larme roula le long de ses yeux sur son poitrail à sequins, plus d’une mouche en papier doré fut décollée par les pleurs ; mais tout cela se passait dans l’intérieur des draperies. Plusieurs matrones crurent donc pouvoir affirmer, en rentrant chez elles, que la fiancée montrait effrontément un excès de joie malséant dans sa position.

Lorsque la nuit fut venue (c’était la dernière qu’Émina dût passer sous le toit paternel), l’on voudrait croire qu’il lui fut permis de déposer son lourd attirail, et de chercher dans la solitude et sur son propre matelas quelque repos et quelques forces pour le lendemain. Il n’en fut rien. On l’avait parée pour la noce du lendemain, et sa parure devait tenir bon jusque-là. On ne lui fit pas même grâce d’une de ses mouches ni d’un de ses voiles. Assise à terre devant le feu (il y a toujours du feu dans les maisons turques), entourée de ses parens et des amis de sa belle-mère, la nuit ne fut pour elle que le prolongement d’une journée déjà trop longue. Aussi, lorsque le jour reparut, Emina, quoique naturellement forte, pouvait à peine