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même chez les deux musulmans ; mais la pensée d’Emina n’allait pas aussi loin. Elle ne se rendait pas même compte de la ressemblance, mais elle la sentait. Hamid entrait-il dans le harem, l’air sombre et préoccupé : si Ansha s’y trouvait, il la prenait à part, causait quelques instans avec elle à voix basse et paraissait aussitôt soulagé. Si au contraire Ansha était absente, Hamid la cherchait du regard, après quoi, poussant un soupir ou faisant un geste d’impatience, il prenait un air riant de commande et se mettait à débiter des fadaises à Emina. Évidemment ni son esprit ni son cœur n’étaient de la partie, et quoique je ne puisse dire ce qu’il faisait de son cœur, je sais bien que son esprit était auprès d’Ansha. — Je dois être pour lui une source d’ennui et d’aversion, se disait Emina, puisqu’il juge nécessaire de se contraindre avec moi, et je vois bien que son perpétuel sourire en me parlant ne part pas d’un cœur satisfait ! — Et en cela elle se trompait, car Hamid-Bey savait se plaire dans la société des femmes lors même qu’il ne les honorait pas de beaucoup d’estime.

Mais elle, Emina, qu’éprouvait-elle pour cet époux improvisé qui était venu brusquement couper court aux rêves de ses treize ans ? Le premier regard qu’elle avait levé sur Hamid lui avait appris qu’il était beau, plus beau que le joli Saed ; le second l’avait convaincue que la porte de communication entre la pensée et l’organe extérieur de la vue était pour elle fermée à double tour. Elle avait essayé de percer le voile tendu derrière sa prunelle ; mais son propre regard s’était émoussé à la peine, et la communication n’avait pas été établie. Hamid avait pourtant remarqué la fixité du regard d’Emina s’efforçant de pénétrer le sien, et cette remarque avait amené sur ses lèvres ce sourire terne et froid qui faisait tant de mal à la petite.

— Pourquoi me regardes-tu ainsi, Emina ? lui avait-il dit. Trouves-tu en moi quelque chose qui te déplaise ? Mon teint est-il trop brun, mon front trop ridé ? Tu as le droit d’être difficile, toi dont les joues sont si fraîches et le front si uni !

— Je ne regarde ni la couleur de ton visage ni les plis de ton front, seigneur, et je ne suis pas assez sotte pour y trouver à redire.

— Tant mieux s’il en est ainsi, reprit le bey, car avec la meilleure volonté du monde il m’eût été impossible d’y rien changer.

— Il est beau, se dit-elle lorsqu’il se fut éloigné, mais il ne me plaît guère. J’éprouve en sa présence de l’embarras et de l’impatience. Ah ! mon pauvre Saed, que tu étais différent ! Comme je me sentais à l’aise et paisible auprès de toi !

C’est une vérité bien connue que nulle femme n’éprouve impunément auprès d’un homme de l’embarras ou de l’impatience, sur-