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de teck qui attend, près de la porte, que le chef de la famille y soit étendu pour le dernier sommeil. Un Portugais qui me servait de guide m’indiqua l’établissement des missions catholiques, et pendant que je cherchais à saisir dans les détails de cet édifice quelques vestiges du passé, je fus distrait par des marchands de joncs, de bambous, de singes, de perroquets. Il n’y a plus d’autre commerce à Malacca. Les Anglais n’ont pas songé à ranimer cette ville morte. Combien était différente la physionomie de Malacca lorsque le père de Rhodes y fit son entrée ! Il trouva « une fort belle ville avec une citadelle bien forte et bien garnie, plusieurs églises richement ornées, où la dévotion des peuples était admirable, cinq paroisses seulement, mais de nombreux monastères, enfin le collège des jésuites, rempli de plusieurs grands personnages. » Notre missionnaire vécut neuf mois à Malacca en attendant que le renversement de la mousson lui permît de continuer sa route vers la Chine ; il employa pieusement son temps à seconder les jésuites dans leurs travaux à la ville comme à la campagne, et baptisa deux mille idolâtres. Heureuse chasse ! comme on aurait dit à Goa. Le père de Rhodes recueillit de son séjour à Malacca les souvenirs les plus agréables : il vante la fécondité du sol, l’abondance et l’excellent goût des fruits, le bel aspect des forêts de cocotiers, et à l’occasion du coco il fait une remarque qui mérite d’être citée. « C’est que pour rendre les cocotiers bien fertiles, il faut que les hommes habitent dessous leurs branches : je ne sais, ajoute-t-il, si c’est le souffle des hommes qui leur sert ou s’il y a quelque secrète sympathie que la nature nous a cachée. » Le père de Rhodes avoue que peu de gens avant lui avaient observé cette chose vraiment admirable : bien peu sans doute l’auront observée après lui ; mais pourquoi cette sympathie cachée, cette harmonie mystérieuse n’existerait-elle pas ? N’est-il pas vrai que sous le soleil tropical le cocotier a été donné à l’homme par la Providence comme un compagnon presque inséparable, comme un abri qui le couvre de son ombrage, qui le désaltère de son lait, qui l’habille de ses filamens, et qui lui donne son bois, ses feuilles, ses fruits, tout ce qu’il a pour le luxe et la commodité de la vie ? Auprès de la plus pauvre case veille le génie tutélaire à l’ombre duquel se repose le père de famille et s’ébattent les enfans demi-nus. Voulez-vous apprécier les richesses d’un village, comptez le nombre de ses cocotiers. J’ai vu une razzia en pays malais ; les habitans avaient fui ; on ne songeait même pas à brûler leurs misérables cabanes ; ce fut aux cocotiers que l’on fit la guerre, et les pauvres arbres, après une longue résistance, tombaient en gémissant sous les coups répétés de la hache. Oui, le cocotier est le bienfaiteur de l’habitant des tropiques, et, rassuré par l’orthodoxie évidente d’une opinion émise par le père de Rhodes, je veux supposer