monte plus vite qu’elle. Les salariés agissent par leur nombre, par leurs besoins, et font presque toujours pencher la balance de leur côté. Il y a en France des contrées, il y a partout des momens, où le produit brut est absorbé presque complètement par les salaires ; il ne reste rien ou à peu près rien pour les intérêts du capital et les profits de l’entrepreneur. C’est une des causes qui agissent le plus pour arrêter chez nous les progrès de l’agriculture ; on hésite à y consacrer ses capitaux et son temps, parce que les salaires absorbent une telle part des produits, qu’on craint de n’être pas rémunéré de ses dépenses et de ses peines.
De même l’alimentation moyenne d’un pays se mesure à la quantité de matières alimentaires qu’il renferme ; c’est une loi toute mathématique. Les classes les plus riches ne peuvent pas en consommer plus que leur part : l’estomac a ses limites. On peut même dire qu’en fait, plus on est riche, moins on mange ; la vie calme et sédentaire des hommes de salon et de cabinet exige moins de nourriture que la vie active des champs ou des ateliers. La part de ceux qui se livrent à un travail manuel en devient nécessairement plus grande. Cette harmonie que la Providence a établie entre les ressources et les besoins se réalise au moyen des prix. Comme il faut que toutes les denrées alimentaires se consomment, les prix se maintiennent d’eux-mêmes au taux où ils doivent être pour qu’elles se répartissent aussi également que possible entre les consommateurs. Quand une denrée hausse, c’est qu’il n’y en a pas assez pour que chacun en ait sa part ; quand elle baisse, c’est que la quantité s’accroît de manière à la rendre accessible à un plus grand nombre.
Il n’est nullement nécessaire d’avoir recours à l’apologie du servage et de pis encore pour expliquer la différence d’alimentation que M. Le Play a signalée entre certaines populations de l’Orient et celles de l’Occident ; cette différence s’explique tout naturellement par la proportion de la population et de la production, par l’abondance et la fertilité du sol et par la nature des cultures.
Si la moitié seulement des Français mange du froment, la cause n’est pas difficile à trouver : c’est que la France n’en produit pas assez pour tout le monde ; il faut de toute nécessité que l’autre moitié se nourrisse de seigle, d’orge, de maïs et de sarrazin, parce qu’il n’y a pas autre chose. Arrangez les salaires comme vous voudrez, vous ne changerez rien à l’alimentation moyenne, tant qu’il n’y aura pas un grain de froment de plus. En fait de viande, nous ne produisons que le tiers environ de ce qui nous serait nécessaire pour donner à chacun sa demi-livre par jour. La conséquence est forcée, un tiers seulement de la population peut en avoir assez. Plus les ouvriers des villes en mangent, moins il en reste pour ceux des campagnes.