Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/648

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

filles et à ces garçons que des faits ; on n’a besoin que de faits dans la vie. Ne plantez rien autre chose en eux ; déracinez en eux toute autre chose. Vous ne pouvez former l’esprit d’un animal raisonnable qu’avec des faits, Aucune autre chose ne pourra leur être utile. C’est là le principe d’après lequel j’élève mes propres enfans, et c’est là le principe d’après lequel je veux que les enfans soient élevés. Attachez-vous aux faits, monsieur ! »

« La scène était la voûte nue, unie, monotone d’une école, et le doigt carré de l’orateur donnait de l’autorité à ses observations, en soulignant chaque sentence par un trait sur la manche du maître d’école. Cette autorité était accrue par le front de l’orateur, sorte de mur carré, ayant les sourcils pour base, pendant que ses yeux trouvaient une cage commode dans deux caves noires qu’ombrageait le mur. Cette autorité était accrue par la bouche de l’orateur, qui était grande, mince et dure. Cette autorité était accrue par la voix de l’orateur, qui était inflexible, sèche et commandante. Cette autorité était accrue par les cheveux de l’orateur, qui se dressaient sur les côtés de sa tête chauve, sorte de plantation de plus ayant pour but de protéger contre le vent sa surface luisante, toute couverte de protubérances, ainsi qu’une croûte de pâté aux prunes, comme si la tête eût été un magasin insuffisant pour la dure masse de faits accumulés dans son intérieur. L’attitude obstinée de l’orateur, son habit carré, ses jambes carrées, ses épaules carrées, jusqu’à sa cravate, qui le prenait à la gorge de son nœud raide, comme un fait entêté qu’elle était, tout ajoutait à cette autorité.

« Dans cette vie, nous n’avons besoin de rien, excepté des faits, monsieur ; de rien, excepté des faits ! »

« L’orateur et le maître d’école et la troisième grande personne présente reculèrent tous un peu et parcoururent des yeux le plan incliné des petits vases qui étaient là rangés en ordre pour recevoir les grandes potées de faits qu’on allait verser en eux, afin de les remplir jusqu’au bord.

« — Thomas Gradgrind, monsieur ! Homme de réalités, homme de faits et de calculs, homme qui part de ce principe que deux et deux font quatre, et non d’un autre, et qui sous aucun prétexte et pour aucune raison n’accordera rien de plus ! Thomas Gradgrind, monsieur ! Thomas lui-même, Thomas Gradgrind avec une règle et une paire de balances, et la table de multiplication toujours dans sa poche, monsieur, prêt à peser et à mesurer n’importe quel fragment de la nature humaine, et à vous dire exactement ce qu’on peut en tirer. C’est une pure question de chiffres, un simple cas d’arithmétique. Vous pourriez espérer de faire entrer quelque autre croyance dans la tête de George Gradgrind, ou d’Auguste Gradgrind, ou de