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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/679

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dont l’avenir pourra seul déterminer la vraie valeur, parce qu’il en fera connaître la sincérité. Le point essentiel et pratique de cette déclaration consiste dans une renonciation commune de Florès et d’Oribe à la candidature de la présidence lors des prochaines élections. Ils s’engagent au contraire et invitent tous les Orientaux à se réunir et à respecter le gouvernement que se donnera la nation, en oubliant les anciennes divisions et en condamnant au même oubli tous les actes commis sous leur funeste influence. Pour apprécier toute l’importance de cette déclaration, il faut se rappeler qu’Oribe a tenu Montevideo assiégé pendant plusieurs années, et qu’on lui reproche de grandes rigueurs ; que depuis qu’il a quitté la scène, l’histoire du pays n’est qu’un enchaînement de réactions d’un parti contre l’autre, et que tous les rapports sociaux sont profondément empoisonnés jusque dans les détails les plus humbles de la vie journalière par les ressentimens qui survivent au sein d’une petite société à une lutte où chacun a joué un rôle et a été tour à tour oppresseur et victime.

Il est vrai que ces réconciliations, ces protestations d’oubli, ont toujours un air de baiser Lamourette qui fait sourire les politiques et les sceptiques. On hésite donc beaucoup à les prendre au sérieux, quelque nécessaires qu’elles soient effectivement après de grandes crises. On sait aussi qu’elles sont rarement le résultat d’un accord volontaire et de la sagesse des esprits ou de l’apaisement spontané des passions, mais qu’elles sont le plus souvent imposées à une société fatiguée par un pouvoir fort et tutélaire. Enfin on se demande si, par cela même que les hommes revêtus d’un certain prestige se tiendraient à l’écart, la république de Montevideo ne serait pas destinée à languir sous un gouvernement impuissant et tiraillé, qui ne commanderait pas le respect et n’aurait pas d’autorité propre. Voilà donc bien des nuages, on ne saurait se le dissimuler. Et pourtant Florès et Oribe ont donné un bon exemple. Par la promesse de désintéressement dans les prochaines élections qu’ils se sont mutuellement faite, ils ont indiqué à toutes les républiques de l’Amérique espagnole quel est le mal qui les travaille, et quel serait le moyen de prévenir les incessantes révolutions qui les bouleversent. Ce mal est d’ailleurs appelé par son nom dans le programme des deux généraux : c’est le système de caudillage ou de pouvoirs irréguliers, revendiqués sur tel ou tel point du pays par un sabre qui en groupe quelques autres autour de lui, et qui, après y avoir impunément bravé le gouvernement central, se met à sa place et s’y maintient jusqu’à ce qu’il soit chassé par un plus fort. Pour ne pas parler des vivans, Fructuoso Rivera, dans la Bande Orientale, a été une des personnifications les plus complètes de ce système, qui a effacé toute idée de droit dans la plupart des nouveaux états, et a substitué aux principes des formes menteuses ou corruptrices. Florès et Oribe s’honorent en le flétrissant ; mais à part la théorie, ce dernier prouve, en renonçant à se mettre sur les rangs pour la présidence, qu’il comprend bien les inconvéniens de son passé et les nécessités de la situation actuelle. Ni le Brésil en effet, ni le gouvernement de la Confédération Argentine, ni la province dissidente de Buenos-Ayres, ne pourraient voir sans inquiétude le général Oribe à la tête du gouvernement de Montevideo. Et ce ne serait pas seulement sa personnalité qui inspirerait des om-