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quoi vous voulez que monsieur supporte une insulte que ni vous ni moi ne supporterions ! — Cette malheureuse phrase n’était pas achevée, que M. George avait mis son cheval au galop.

— Es-tu fou ? dis-je à Breuilly, qui essayait de me retenir, — et que signifie cette invention-là ? — Mon ami, me répondit-il, il fallait distraire cet enfant à tout prix. — Je haussai les épaules, je me dégageai, et je m’élançai sur les pas de M. George ; mais, étant mieux monté que moi, il avait pris une avance considérable. J’étais encore à une centaine de pas, quand il joignit M. de Mauterne, qui s’était arrêté en l’entendant venir. Il me sembla qu’ils échangeaient quelques paroles, et je vis presque aussitôt la cravache de M. George fouetter à plusieurs reprises et avec une sorte d’acharnement le visage de M. de Mauterne. Nous arrivâmes seulement à temps, M. de Breuilly et moi, pour empêcher que cette scène ne prit un odieux caractère.

Une rencontre étant malheureusement devenue inévitable entre ces deux messieurs, nous dûmes emmener avec nous les deux amis qui accompagnaient Mauterne, MM. de Quiroy et Astley, ce dernier Anglais. M. George nous précéda au château. Le choix des armes appartenait, sans aucun doute possible, à notre adversaire. Cependant, ayant remarqué que ses deux témoins semblaient hésiter, avec une sorte d’indifférence ou de circonspection, entre l’épée et le pistolet, je pensai que nous pourrions, avec un peu d’adresse, faire pencher leur décision dans le sens qui nous serait le moins défavorable. Nous primes donc préalablement, M. de Breuilly et moi, l’avis de M. George. Il se prononça immédiatement pour l’épée. — Mais, lui fit observer M. de Breuilly, vous tirez fort bien le pistolet : je vous ai vu à l’œuvre. Êtes-vous sûr d’être plus habile à l’épée ? Ne vous y trompez pour Dieu pas : ceci est un combat à mort ! — J’en suis convaincu, répondit-il en souriant ; mais je tiens beaucoup à l’épée, autant que cela sera possible. — Sur l’expression d’un désir si formel, nous ne pouvions que nous croire heureux d’obtenir le choix de cette arme. Il fut effectivement résolu, et la rencontre fut fixée au lendemain neuf heures.

Pendant le reste de la journée, M. George montra une liberté d’esprit et même par intervalle une gaieté dont nous fûmes tout surpris, et que Mme  de Malouet en particulier ne savait comment s’expliquer. Ma pauvre femme ignorait bien entendu ces derniers événemens.

À dix heures, il se retira, et je vis encore de la lumière chez lui deux heures plus tard. Poussé par ma vive affection et par je ne sais quelle inquiétude vague dont j’étais poursuivi, j’entrai vers minuit dans sa chambre ; je le trouvai fort tranquille : il venait d’écrire et