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l’entrée principale du bâtiment, ils arrivèrent bientôt à l’escalier qui conduisait au premier étage. Dès que les brigands demeurés aux prises avec Hamid entendirent ce bruit de pas, ils se précipitèrent au-devant de leurs nouveaux adversaires.

— Hamid va les poursuivre, — se dit Emina, qui suivait les serviteurs ; mais Hamid ne paraissait pas. La terreur d’Emina fut bientôt à son comble. On se battait sur l’escalier, les balles sifflaient, les lames brillaient dans l’étroit corridor. À travers les balles et les épées, Emina parvint à se frayer un passage. Les uns ne la remarquèrent point, et à vrai dire ils avaient assez d’occupation sans songer à elle ; d’autres l’aperçurent, mais aucun musulman, fût-il même le plus féroce des bandits, n’oserait s’attaquer à une femme. Emina gagna donc sans obstacle le palier ; d’un bond elle traversa le vestibule. La porte d’Hamid était toute grande ouverte, la chambre était sombre, et dans le premier instant Emina la crut vide ; mais son erreur fut bientôt dissipée. Un rayon de la lune, tombant sur un coin reculé de la pièce, lui montra une masse informe étendue sur le plancher. Elle y court, se baisse, soulève un coin du manteau qui la couvrait : c’était Hamid. Emina pousse un cri étouffé, elle presse cette tête inanimée contre son cœur, elle pose ses lèvres glacées sur ce visage pâle et plus glacé que ses lèvres, elle appuie une main tremblante sur ce cœur qu’elle ose à peine interroger ; mais ce cœur palpite encore, de faibles battemens se font sentir. Il vit, et c’est assez pour Emina, qui a recouvré toute son énergie. Elle n’appelle personne à son aide ; elle est seule avec son trésor, qu’elle suffit à défendre contre les assassins et contre la mort. Dans la cheminée sont entassés, à côté d’un briquet, les morceaux de bois résineux qui sont l’unique moyen d’éclairage en Asie. Emina allume une de ces torches ; elle traîne Hamid vers son lit, et peut enfin examiner sa blessure. Sa vue se trouble ; cependant elle murmure une courte prière et se remet à l’œuvre. Le sang jaillissait à grands flots d’une large blessure à la tête, le crâne était dénudé, et un filet d’une matière blanchâtre se mêlait au sang, déjà caillé autour de la plaie. Deux autres coups avaient percé la poitrine et le bras droit d’Hamid. Ces blessures étaient légères, comparées à la première. Emina essaya d’abord d’en laver la plaie pour en reconnaître la profondeur ; mais, remarquant que le sang coulait avec plus d’abondance à mesure que les caillots s’en détachaient et que le pouls baissait de plus en plus, elle se prit à tamponner et à resserrer la plaie, ce qui lui réussit assez bien. Le pansement achevé, Hamid demeurait toujours sans connaissance, et la jeune femme sentit le besoin de secours. Le combat sur l’escalier avait cessé depuis quelques instans ; les brigands fuyaient, et les serviteurs les poursuivaient, tout