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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/747

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belle Ansha pour l’homme de Dieu ? Ses ennemis (et elle en avait beaucoup) se moquaient de sa dévotion. Chaque fois qu’un accident survenait dans la famille, qu’un enfant tombait d’un peu haut, qu’un autre mangeait des fruits verts jusqu’à se donner la colique, chaque fois qu’Ansha elle-même était atteinte d’une de ces infirmités passagères si communes à son sexe, vite on envoyait chercher l’iman. Dans la circonstance où la plaçait l’accident survenu au bey, Ansha avait surtout bien des choses à dire au saint personnage. Elle voulait lui raconter d’abord l’événement en s’y attribuant à elle-même le plus beau rôle, lui communiquer ses soupçons sur l’ensorcellement d’Hamid-Bey, et lui insinuer que le délire n’ayant paru qu’à la suite des médicamens administrés par Emina, on pouvait considérer la petite scélérate comme la complice de la bohémienne et les croire toutes deux d’accord pour égarer la raison du malade et s’emparer complètement de son esprit. L’iman entra sans peine dans les vues qu’Ansha lui développa confidentiellement avant de le conduire près d’Hamid ; il s’engagea à ne rien négliger pour combattre la pernicieuse influence de sa rivale. Tous deux passèrent ensuite dans la chambre du blessé.

Hamid reposait assez tranquillement, la tête appuyée sur l’épaule d’Emina, dont il tenait les petites mains dans les siennes. Assise de l’autre côté du matelas, la vieille dame contemplait son fils avec toute l’anxiété d’une véritable tendresse. Les enfans (y compris les deux fils aînés d’Ansha et leurs femmes) étaient groupés çà et là dans la chambre, causant à voix basse des événemens de la nuit et des inquiétudes de la journée.

L’iman s’était approché du blessé et le considérait depuis quelque temps d’un air grave comme s’il eût cherché la solution d’un problème d’algèbre, sans que le bey parût s’apercevoir de sa présence. J’oubliais de remarquer qu’Hamid avait montré de tout temps peu de bienveillance pour l’homme du Seigneur, ce qui tenait sans doute à un caprice de sa nature rebelle. Lorsqu’Ahmed-Effendi jugea que sa contemplation s’était assez prolongée (la vieille dame était arrivée à cette conclusion quelques minutes avant lui), il exprima le désir d’être laissé seul avec le blessé. Les enfans se dirigèrent aussitôt vers la porte, la grand’mère quitta son siège, et Emina fit un mouvement pour se conformer aux vœux du saint homme ; mais, quelque faible que fût ce mouvement, il suffit à amener le trouble et la confusion dans le harem. À peine Hamid se fut-il aperçu de son effort pour retirer les petites mains enfermées dans les siennes, que les serrant avec plus de force et bondissant sur son oreiller comme le daim blessé bondit sur l’herbe qu’il a rougie de son sang, il recommença ses invectives, ses protestations, ses menaces et ses sup-