Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/748

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plications désespérées. « Que veut-on ? Qui prétend te séparer de moi ? Eloignez-vous tous, ou vous vous en repentirez ! Prenez, emportez tout ce qui m’appartient, mais qu’on ne touche pas à elle. J’ai de l’argent, j’ai des bijoux, là, dans cette armoire… (La vieille dame lui ferma résolument la bouche, et cela suffit pour donner un autre cours à sa pensée.) — Ae-Elma, reprit-il, te souvient-il de ce jour où je m’égarai dans la montagne ? Tu me trouvas assis sur l’herbe auprès d’une fontaine, pendant que mon cheval paissait à quelques pas de moi. Tu vins t’asseoir à mes côtés, tu me pris la main, et nous demeurâmes ainsi l’un auprès de l’autre sans nous parler et sans même lever les yeux, de peur que notre bonheur ne s’évanouît comme un songe. Ah ! que nous fûmes heureux ce jour-là ! Place-toi comme tu étais alors, fermons les yeux et rappelons-nous la forêt sombre, le vert gazon, les chênes frémissans et la voûte resplendissante du ciel, qui paraissait au-dessus de leur dôme d’ombrage. »

Tremblante et émue, Emina n’osait ni partir ni rester ; mais pendant qu’elle cherchait son courage pour s’éloigner, elle restait. Ansha s’agitait en regardant l’iman, et elle le regarda si bien, que celui-ci, interprétant ce muet langage, prit son parti, en brave qu’il était quelquefois. Il s’avança d’un air décidé, et s’écria en s’adressant à Emina : — Partez, madame, il le faut ; il faut que je demeure seul avec son excellence. — Puis il la saisit par le bras.

Y songeait-il, le saint homme ? savait-il à quelle sorte d’excellence il avait affaire, et quels orages il attirait sur sa tête en touchant à ce petit bras ? Le délire donne, dit-on, de la force aux plus faibles, et Hamid-Bey était naturellement des plus forts. À peine l’iman avait-il touché le bras d’Emina, qu’on vit sa barbe crépue violemment secouée par la main nerveuse d’Hamid, et l’alarme redoubla lorsque, passant de la barbe à la gorge, les deux bras du blessé la serrèrent de façon à étouffer l’iman. Celui-ci était menacé d’asphyxie, si Emina ne l’eût tiré d’affaire en exerçant sa douce omnipotence sur le bey. — Hamid, mon cher Hamid ! s’écria-t-elle en enlaçant de ses bras délicats le poignet contracté du blessé. Il n’en fallut pas davantage. Le charme opérant, les doigts d’Hamid se desserrèrent, et, passant subitement de l’excès de la fureur à l’excès de la tendresse, le terrible malade parut ne plus se souvenir que de son amour : il recommença son idylle comme si personne n’eût osé l’interrompre. Anslm avait beau se démener, l’éloignement d’Emina n’était plus, ne serait plus jamais réclamé par l’exorciste. — Je pense, dit-il aussitôt qu’il eut repris l’usage de la parole, je pense que vu l’état des choses, la présence de madame est plutôt à désirer qu’à craindre. D’ailleurs il n’est rien d’impossible à celui dont Dieu