Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/762

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XIII.

La moisson était achevée, les travaux des champs chômaient faute de travailleurs, car on était dans le mois de ramazan, époque consacrée au triomphe de la paresse musulmane. N’ayant pas grand’chose à faire dans ma vallée, je pris le parti de visiter la province voisine, et un beau matin, montant à cheval, accompagnée d’une suite convenable, je me dirigeai vers le sud-est. Après quelques jours de marche, nous devions atteindre la ville où Emina prenait jadis des bains ; mais la chaleur avait été si accablante pendant une grande partie du jour, que nous prolongeâmes notre repos de midi, et que la nuit nous surprit en pleine campagne. — Trouvons de l’eau et des pâturages pour nos chevaux, dis-je au guide, et arrêtons-nous ici. — Encore quelques pas, bessadée, répondit-il ; nous touchons à un joli village où rien ne nous manquera. — Je voyais en effet des feux à quelque distance, et je me rendis aux vœux du muletier, ce dont je n’eus pas à me repentir. Quelques minutes plus tard, nous nous trouvions au milieu d’un petit groupe de maisons bâties en planches, à l’aspect assez misérable, comme l’ont d’ailleurs toutes les maisons de l’Asie-Mineure. Nous marchions encore, que déjà nous étions entourés des principaux habitans de l’endroit, chacun nous suppliant de lui donner la préférence sur son voisin ; mais notre conducteur, paraissant regarder notre choix comme arrêté de toute éternité, éconduisit tous les prétendans moins un, dont c’était l’imprescriptible droit d « e nous héberger. Nous nous laissâmes faire, et bientôt nous fûmes introduits sur une espèce de balcon ouvert, dont le plancher était abondamment garni de tapis, de matelas et de coussins. Le souper fut promptement servi, après quoi, m’excusant sur la fatigue de la journée, je demandai la permission de me retirer. Le maître du logis me conduisit dans son harem, où je fus reçue par une fort belle dame un peu sur le retour, et par un bataillon de servantes dépouillées, débraillées, les pieds et les jambes nus. — Reposez-vous, me dit mon hôte, et demain j’aurai une grande grâce à vous demander. — Bon ! fis-je à part moi ; quelque marmot à guérir, ou une vieille femme qui veut avoir son quatorzième enfant !

Le lendemain matin, je venais de quitter mon lit, lorsque mon hôte frappa à ma porte. Je m’habillai à la hâte et j’allai lui ouvrir. Après s’être enquis avec une bonne grâce et un empressement parfaits de la manière dont j’avais passé la nuit, de la qualité de mes matelas et de la température de ma chambre, comme s’il n’avait eu d’autre pensée que d’assurer mon bien-être, il prit tout à coup