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comme une rivière bouillante, il y avait fait bâtir un palais, sa résidence favorite, et, à proximité de ce palais, venaient se fonder l’un après l’autre les établissemens ordinaires d’une métropole. C’était là son plaisir dans les rares momens de repos que lui laissait la guerre. Un contemporain nous le représente inspectant les travaux et encourageant par ses paroles une armée de tailleurs de pierre, de charpentiers et de maçons, ou bien se postant au haut de la citadelle déjà terminée comme au haut d’un observatoire, indiquant, le plan en main, la direction des rues et la place du forum, de l’amphithéâtre ou de la basilique. Déjà s’élevait sur les colonnes de marbre amenées de Ravenne la coupole d’or de la chapelle où devaient reposer ses cendres, et des fontainiers répandus de tous côtés captaient les sources pour les amener dans de profondes piscines, où l’on descendait par des degrés de marbre blanc. Ces créations du génie civilisateur durent intéresser médiocrement Tudun et ses sauvages compagnons ; mais la cour franke avait d’autres divertissemens plus conformes à leur intelligence et à leur goût. La chasse était une des vives passions de Charlemagne, et aux yeux des Franks le plus noble plaisir qu’on pût offrir à des hôtes qu’on voulait dignement traiter. Charles y entraînait ceux-là mêmes qui ne s’en montraient pas très soucieux, témoin ces ambassadeurs d’Aroun-al-Rachid, qui éprouvèrent une si grande frayeur à l’aspect des uroks, qu’ils n’avaient jamais vus. On peut donc affirmer, quoique l’histoire ait omis ce détail, qu’il y conduisit les Avars, ardens chasseurs eux-mêmes, et chez qui la chasse était une institution politique. Dans cette hypothèse, qui n’a rien que de très acceptable, nous emprunterons quelques détails aux écrivains contemporains, pour donner un aspect vrai de cette cour d’Aix-la-Chapelle, à laquelle se trouve mêlé assez bizarrement un kha-kan des Huns vaincu et baptisé.

Charlemagne préparait comme une expédition militaire ses chasses dans les vastes forêts qui des coteaux d’Aix se prolongeaient, d’une part à la grande forêt des Ardennes, de l’autre aux rideaux boisés des bords du Rhin. Il y avait un plan tracé d’avance, des marches prévues, des embuscades dressées ; chacun avait son poste et son rôle, et tout le monde y assistait soit comme acteur, soit comme spectateur. Les jeunes fils du roi, la reine elle-même et les princesses n’étaient pas les derniers à accourir, dès l’aube du jour, quand la trompe avait retenti, afin de participer de loin ou de près aux périlleux amusemens du maître. « Dès que l’aurore d’un jour de chasse commence à se montrer, nous dit un témoin de ces fêtes, les jeunes princes, sautant hors du lit, revêtent précipitamment leurs armures ; la reine et ses belles-filles procèdent, mais plus lentement, à leur toilette, et les leudes se rassemblent dans les cours du palais, tandis que les cors résonnent, que les écuyers contiennent les chevaux