Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/816

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucune trace de végétation. Derrière la ligne hérissée des glaces des côtes, l’œil n’aperçoit que l’horizon monotone des glaces éternelles, et, sous leur blanche enveloppe, ne devine les formes du sol que par des ombres légères.

Obligé de redescendre un peu vers le nord, Dumont d’Urville retrouva, sous le méridien de 130 degrés, une banquise impénétrable, étendue sur une très grande longueur, et qu’il jugea devoir s’appuyer contre une côte ; il crut même reconnaître la terre dans les lignes blanches de l’horizon, et la nomma côte Clarie. Il faut ajouter que quelques-uns des officiers français ne partagèrent point l’opinion de leur commandant. On peut être très facilement déçu, dans les régions polaires, par des apparences pareilles, et très souvent l’on est tenté de prendre pour la terre des bancs de brouillards immobiles qui reposent sur la mer. D’ailleurs, quand même on vient se heurter contre l’escarpement d’un immense champ de glaces, si élevé, si compacte, si uniforme qu’il soit, on ne peut pas être absolument certain qu’il se trouve appuyé contre une terre. Il est bien vrai, et les marins le disent proverbialement, qu’une mer profonde ne gèle point. Ainsi que Scoresby et Parry l’ont observé, aussitôt qu’une couche mince de glace se forme à la surface, le moindre coup de vent la brise et en emporte les débris jusqu’aux côtes les plus voisines, où ils s’attachent et se soudent. Les terres sont donc les centres de formation des glaces. Si faible que soit leur profondeur, il ne semble pas que des bas-fonds puissent naturellement le devenir ; mais on conçoit très bien qu’une de ces montagnes de glaces, si fréquentes dans la zone polaire, vienne s’y échouer. Les glaces peuvent dès lors s’étendre et s’affermir autour de ce gigantesque noyau. Les neiges, qui tombent en abondance dans ces régions antarctiques, où l’air est presque constamment saturé de vapeur d’eau, augmentent peu à peu l’épaisseur de l’immense banquise, suspendue sur une mer où elle ne peut fondre. Quelquefois cette masse, rattachée en quelque sorte par un seul point au fond de la mer, finit par vaincre l’obstacle qui la retient prisonnière, et se met tout entière en mouvement. Quelquefois aussi sa base peut s’étendre, et le champ de glaces, qui s’accroît lentement et avec les années, finit par atteindre la hauteur et l’étendue de ceux qui enveloppent le continent.

Il faut ajouter cependant que de pareils bas-fonds ne se trouvent le plus ordinairement qu’à d’assez faibles distances des terres. D’ailleurs, en ce qui concerne la côte Clarie, Dumont d’Urville eut raison contre ses officiers, et l’expédition américaine paraît avoir confirmé ses résultats. Il n’était pourtant pas inutile de présenter les observations précédentes, car nous verrons plus tard que le capitaine Wilkes fut abusé lui-même, sur un autre point, par de fausses