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ne peuvent que tendre, insciemment d’abord, sciemment enfin, vers une amélioration progressive ; mais dans ce grand phénomène naturel, soumis à tant de causes complexes, surviennent incessamment les perturbations et les désordres, qui retardent, entravent, altèrent la marche, et cette double considération écarte à la fois le fatalisme et l’optimisme.

Témoin les sorciers et leur histoire, à peu près tranquilles sous le paganisme, poursuivis à outrance sous le christianisme, en raison de l’incident qui, des divinités subalternes, fit des êtres uniquement dévoués à la souffrance et à la perversité. Au reste, la magie ou sorcellerie est quelque chose de très compliqué qui occupe une part dans l’histoire, qui se trouve au début des sociétés naissantes, et qui, persistant bien au-delà, a suscité des jugemens divers. Sans parler des mystères dont elle réussit à s’entourer, surtout quand elle fut devenue une science occulte, sans parler des supercheries qui s’y joignaient, sans parler non plus des crimes qu’elle abritait quand le magicien y prêtait la main, elle se compose fondamentalement d’une croyance à un pouvoir sur la nature par l’intermédiaire, soit des êtres surnaturels, soit des forces élémentaires, et d’une somme de conceptions délirantes, d’hallucinations qui exaltent le sorcier, il vaut mieux dire le patient, en communication avec les démons. La première portion est celle que j’appellerai raisonnable, celle qui prétend par des pratiques s’assujettir les agens des choses ; elle a eu pendant longtemps des points de contact avec la science réelle. La seconde portion est complètement du domaine du médecin et du philosophe moraliste, vu qu’à la fois elle dérange la raison des individus et, suivant la circonstance, jette de la perturbation dans l’intellect social.

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de rappeler quelques-uns des phénomènes qui se présentèrent dans des épidémies anciennes de sorcellerie et de démonopathie.

En Italie, sous le pontificat de Jules II, l’inquisition livra au supplice plusieurs milliers d’individus qui, d’après leurs propres dires, avaient à se reprocher la mort d’une foule d’enfans. Ces gens recevaient de la main du diable, auquel ils s’abandonnaient corps et âme, une pincée de poudre qu’ils portaient, leur vie durant, dans un endroit secret de leur vêtement. Un seul atome de cette poudre suffisait pour causer aussitôt la perte des individus qu’elle atteignait. Le plus ordinairement, les sorcières de ce genre parvenaient à se métamorphoser en chattes, et c’est sous la forme d’animaux qu’elles allaient tendre leurs embûches aux nouveau-nés. Possédant l’agilité et la souplesse des chats, elles pouvaient s’introduire par les lucarnes, sauter lestement sur les lits, sucer gloutonnement le sang de