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leurs victimes et s’évader prestement par les moindres issues. Les doigts, les orteils, les lèvres étaient autant d’endroits qu’elles choisissaient de préférence pour appliquer leur bouche avide. Chacune d’elles devait de la sorte mettre à mort au moins deux nourrissons par mois. L’ongle, une aiguille que les sorcières avaient soin d’emporter avec elles servaient à pratiquer sur les vaisseaux des petits enfans une ouverture imperceptible. Cependant plus d’une mère éveillée en sursaut par les vagissemens et les cris plaintifs de son enfant ne s’était que trop souvent aperçue à la rougeur de la peau, aux taches de sang sur les langes du nouveau-né, que le malheureux avait été sucé. Ces disciples de Satan se faisaient une grande joie d’assister aux assemblées des esprits déchus, que présidait une espèce de diablesse nommée par eux la sage déesse. Une fois que les adorateurs de Satan sont réunis dans le lieu qui leur a été indiqué, ils n’ont plus rien à faire, si ce n’est de se livrer au plaisir de la danse, de s’abandonner aux jouissances des festins et de prêter l’oreille aux accens de la musique. Il arrive cependant que le diable fascine les yeux des convives en faisant apparaître des mets prestigieux, et les convives, qui ont mâché à vide, arrivent le matin à leur domicile plus affamés qu’ils ne l’étaient la veille. Certains jours les tables sont chargées de viandes réelles et de vins exquis ; des bœufs entiers qu’on a eu la précaution d’enlever dans les étables des riches servent à assouvir l’appétit des sorciers. Ces vols ne peuvent être soupçonnés par les propriétaires. La sage déesse connaît le secret de remplir les futailles qui ont été vidées, et il lui suffit de faire rassembler les ossemens des bœufs qui ont été dévorés, de les faire déposer les uns auprès des autres sur la peau et d’agiter sa baguette, pour que ces bœufs puissent recommencer à vivre et être reconduits dans leurs étables. Dans ce fait, pour lequel, pendant quelques années, s’allumèrent les bûchers, on remarquera, au premier chef, un phénomène qui est capital : c’est le caractère collectif. Toutes ces sorcières se disent changées en chattes, et elles le disent en face du supplice qui les attend, tant leur conviction est inébranlable ; elles s’accusent aussi d’homicides sans nombre. En confirmation, des mères assurent avoir vu des traces de sang sur leurs enfans ; elles se plaignent de l’importunité de certains chats qui s’introduisaient dans leurs maisons, et les maris signalent la peine qu’ils avaient eue à les atteindre en leur donnant la chasse. À toute cette tragédie si bien attestée de toutes parts, scellée par les aveux des sorciers, certifiée par le jugement solennel des inquisiteurs, il ne manque qu’une chose : c’est que, malgré ces assassinats de tant d’enfans, la mortalité ne fut pas accrue ni la contrée dépeuplée.