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respectivement affectés. Il suffit que les organes chargés de ces divers offices soient excités par quelque cause externe ou interne, pour que ces offices se manifestent aussitôt. En d’autres termes, l’œil peut voir de la lumière sans qu’il y ait là une lumière effective ; l’oreille peut percevoir un son sans qu’il y ait là un son réel. Un homme frappé à la tête dans un lieu obscur vit à l’instant des lueurs brillantes, et, confronté devant le tribunal avec celui qui était accusé de l’avoir blessé, il prétendait l’avoir reconnu à cette lueur même qui avait soudainement éclairé ses yeux et l’obscurité, quand un médecin appelé aux débats fit observer que la lumière dont il était question, bornée au nerf optique du patient, n’avait rien de réel et n’avait pu se projeter dans les ténèbres ni aider à reconnaître qui que ce fût. En irritant les nerfs du goût par un courant électrique, on produit dans la bouche une saveur indépendamment de tout corps sapide. Semblablement, sous l’influence d’états pathologiques, les sens éprouvent des sensations, les yeux voient, les oreilles entendent, les narines flairent, la langue goûte, les muscles s’agitent, des visions se produisent, des sentimens et des impulsions surgissent, l’intelligence crée des associations étranges d’idées, et le patient, soustrait au monde réel et visible, appartient désormais à un monde fictif et invisible, auquel il ne peut s’empêcher d’ajouter foi entière. Tous les degrés, toutes les combinaisons se présentent dans ces désordres, et le médecin qui les contemple en fait spontanément le rapport à la pathologie surnaturelle ou démoniaque, qui n’est ni plus singulière ni plus compliquée.

Dans cet ordre de faits, c’est l’hallucination qui domine ; c’est elle qui change les apparences des choses et introduit dans l’existence de l’halluciné une série de phénomènes illusoires. Elle a une puissance merveilleuse pour donner corps, lumière, son, saveur, odeur, à ce qui n’a rien de tout cela. La réalité n’est pas plus réelle que les apparences qu’elle suscite, et il faut toute l’intégrité des autres facultés pour que la confusion n’arrive pas. Un savant allemand du siècle dernier, Gleditsch, à trois heures après midi, vit nettement, dans un coin de la salle de l’académie de Berlin, Maupertuis, mort à Bâle quelque temps auparavant : il n’attribua cette illusion qu’à un dérangement momentané de ses organes ; mais, en en parlant, il affirmait que la vision avait été aussi parfaite que si Maupertuis eût été vivant et placé devant lui. Il y a dans les recueils médicaux nombre d’observations de ce genre ; une des plus remarquables est celle d’un médecin qui, ayant pleinement conscience de lui-même et s’examinant avec attention, ne pouvait se soustraire aux hallucinations qui l’obsédaient, particulièrement aux hallucinations de