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facilement applicables à la fécondation du sol ; dès lors tout ce qu’il distribue sur une localité est privation sur une autre, et tout ce qu’il réserve pour la navigation est un détournement. À l’époque des crues, ce n’est qu’un infiniment petit ; durant les basses eaux, quand le débit du fleuve n’est plus que de 60 millions de mètres cubes par jour, ce qu’il en prend, soixantième ou trentième, affecte sensiblement des ressources disponibles pour l’arrosage. C’est en cela que l’alimentation du canal est justement incriminée. Enfin qu’arrivera-t-il lorsqu’il y aura au sommet du Delta une combinaison du barrage et du canal, combinaison fondamentale dans le projet ? Le barrage centralisera les eaux au profit des zones supérieure et moyenne de la Basse-Égypte ; le canal consommera par jour 1 ou 2 millions de mètres cubes d’eau ; les branches du Nil, encore plus affaiblies à leurs extrémités, laisseront remonter en plus grande quantité les eaux de la mer, qui dès aujourd’hui se répandent sur le sol et pénètrent dans les grands lacs, dont elles concourent à maintenir l’étendue, retranchant ainsi des espaces immenses du territoire cultivable des bords de la Méditerranée. Il est impossible de ne pas reconnaître qu’au point de vue de l’alimentation et des rapports du canal avec le fleuve la direction du tracé a des inconvéniens sérieux.

Nous n’avons plus qu’à résumer nos observations. Ce canal absorbe une partie notable des eaux utiles du fleuve, il en absorbera davantage à mesure qu’il sera fréquenté. L’alimentation s’opère, dans des proportions considérables, par des procédés artificiels et dispendieux. La construction du pont-canal et des biefs supérieurs présente des difficultés qui ne seront pas abordées sans héroïsme ni sans additions au devis. Le pont-canal seul coûtera 38 millions, au bas prix. La multiplicité des écluses grève la navigation d’une perte de temps. Et tout le Delta est emprisonné dans une enceinte de près de 400 kilomètres. De la un obstacle aux passages, des dépenses pour les établir, et néanmoins la liberté des communications demeurera gênée. Le tout serait d’un entretien onéreux. Le barrage semble avoir été, dans ce projet, ce que la marée haute de la Mer-Rouge a été dans l’autre, — l’origine d’une erreur dans la direction du tracé. La marée haute a tenu le canal dans l’isthme, le barrage l’a attiré jusqu’au sommet du Delta. Ce sont deux voies extrêmes. Par suite, dans le premier projet, le canal est un cours d’eau salée dont l’Égypte n’a pas besoin ; dans le second, c’est un courant d’eau douce aux dépens du fleuve, dont l’Égypte n’a point assez. Et comme si le parallèle devait aller jusqu’au bout, tandis que la rectification du niveau de la Mer-Rouge laisse le canal de l’isthme aux prises avec les hasards de Tineh, l’insuffisance de la retenue du barrage met le canal de la zone supérieure du Delta à l’épreuve d’un pont-canal.