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quet d’une main, l’épée de l’autre, je ne m’étonnerais pas ; mais je n’ai devant moi qu’un héros de parade, et pour m’expliquer son attitude, je suis obligé de croire qu’il défile devant le parterre et va recueillir ses applaudissemens. Ce jugement pourra paraître sévère aux admirateurs de M. Clésinger. J’ai pourtant quelques raisons de penser qu’il sera bientôt accepté.

Le cheval ne vaut pas mieux que le cavalier, et ses dimensions ne s’accordent pas avec celles du roi. Qu’on agrandisse un peu le modèle d’un cheval de bataille, je le conçois sans peine : encore faut-il que le cavalier puisse enfourcher sa monture. Si le roi, pour se mettre en selle, est obligé de demander un escabeau, s’il ne peut mettre le pied à l’étrier en parlant du sol, il est évident que le sculpteur a dépassé le but. Or je crois que les plus habiles cavaliers seraient quelque peu embarrassés pour grimper sur le géant que M. Clésinger a donné pour monture à François Ier. Si nous prenons la peine d’étudier les diverses parties du cheval, notre étonnement redouble à bon droit. À quelle race appartient-il ? Est-il normand, est-il arabe ? Bien fin serait celui qui trancherait cette question. Ni les naseaux, ni les orbites, ni le front ne peuvent servir à la décider. Les sabots sont d’une dimension inusitée, pour quelque race qu’on se prononce. Les lecteurs les plus assidus du Stud-Book, qui connaissent familièrement tous les signes généalogiques, hésiteraient sans doute devant le problème que je leur propose, et je suis porté à croire qu’ils rangeraient le cheval de François Ier dans une race inconnue. Ne trouvant en lui aucun des signes mdiqués par les maîtres de la science, ils renonceraient à le caractériser, et déclineraient l’honneur de révéler son origine. Il faudrait en effet être doué d’une singulière témérité pour essayer de résoudre cette question.

M. Clésinger connaît l’Italie ; il y a vécu pendant plusieurs années. Comment donc se fait-il qu’il ait oublié Venise et Padoue, qui possèdent d’admirables statues équestres ? Venise garde comme un trésor inestimable, comme une œuvre digne des meilleurs temps, la statue de Colleoni, d’Andrea Verocchio ; Padoue vante à bon droit la statue de Gatta Melata, placée devant l’église de Saint-Antoine. Je ne parle pas de la statue de Marc-Aurèle, placée au Capitole derrière les trophées de Marins, car elle ne pourrait fournir d’utiles conseils pour la statue de François Ier. Une fois résolu à composer une statue équestre, M. Clésinger ne devait négliger ni Donatello ni Andréa Verocchio, deux maîtres d’une habileté consommée, qui ont su faire deux guerriers solidement établis sur leur monture. Ni Gatta Melata ni Colleoni ne se laisseraient désarçonner par le premier caprice. Fièrement campés sur la selle, ils ne redoutent ni bond ni faux pas. Que leur cheval bronche ou poursuive sa route d’une allure paisible, ils n’ont rien à craindre, car si la bride leur échappait, la puissance musculaire de leurs genoux et de leurs cuisses leur suffirait pour dompter l’indocilité de leur monture. À défaut de Venise et de Padoue, de Colleoni et de Gatta Melata, nous avons sous les yeux les cavaliers du Parthénon. C’est plus qu’il n’en faut pour reconnaître et pour signaler les défauts de l’œuvre conçue par M. Clésinger. Ces cavaliers ne ressemblent guère par leur attitude au roi placé dans la cour du Louvre. Tous les monumens justement célèbres de l’art antique et de l’art moderne se réunissent donc pour condamner la statue soumise au contrôle de l’opinion publique.