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morales de son pays, rien de mieux; qu’il glorifie l’élévation de la pensée allemande, l’ardeur de son spiritualisme, le zèle infatigable de sa science, ces sources de poésie qu’elle a ouvertes et où les nations romanes, au commencement de ce siècle, sont venues tremper leurs lèvres altérées, ce n’est pas nous qui refuserons de joindre notre voix à la sienne; mais pourquoi ces exagérations qui peuvent nuire à une cause juste? M. Gervinus est ainsi fait; si on le ramenait à un sentiment plus exact des rapports qui unissent les nations européennes, on lui enlèverait une grande part de son originalité; la passion est l’âme de son œuvre. Blessé dans son patriotisme, impatient de voir l’Allemagne jouer un grand rôle au sein de l’Europe, il a besoin de consolations dans le domaine de la pensée pure; il a besoin aussi d’un système qui lui permette de dire à ses concitoyens : Votre tâche littéraire est achevée, déployez ailleurs vos forces et votre génie! Encore une fois, lorsque M. Gervinus nous présente la littérature allemande du XVIIIe siècle comme le dernier terme d’un long et laborieux effort par lequel l’humanité est revenue à l’inspiration du monde grec, rappelons-nous quel enchaînement de pensées amères et d’ambitions inquiètes l’ont mené à ce résultat. Ce n’est pas là une de ces erreurs qui veulent être strictement discutées. Réfuter la théorie de M. Gervinus, à quoi bon ce lieu commun? Il suffit de la signaler comme un témoignage de la passion qui l’anime.

Faudrait-il réfuter aussi ses conclusions? Plus de poésie, plus d’imagination ! s’écrie M. Gervinus; notre édifice littéraire est complet ! Maîtres de l’esprit humain au XVIIIe siècle, grâce à cette phalange immortelle que conduisent Lessing et Goethe, ne vous épuisez pas à tourner inutilement dans le même cercle ! La suprématie que ces grands hommes vous ont conquise, il est temps de l’établir dans le domaine de l’action. Laissez donc reposer le champ de la poésie, dites adieu au monde des livres; si un autre âge d’or est réservé aux lettres allemandes, nous n’en verrons briller la première aube qu’après que le terrain de la vie politique et sociale aura été vaillamment défriché. Pour une nouvelle récolte, il faut un sol nouveau. voyez ce qui s’est passé en Allemagne après cette longue nuit de la scolastique, toute pleine de rêves incohérens; Luther paraît, il disperse les fantômes, il affranchit la conscience religieuse, il crée en un mot tout un monde spirituel et moral, un monde sain, fortifiant, où l’esprit se relève, où l’homme retrouve sa dignité et sa puissance, et sur cette base féconde voici une littérature qui se lève, qui grandit et atteint bientôt aux sublimités les plus hautes! Depuis trois siècles, nous vivons sur le fonds d’idées que nous a transmis la réforme; mais l’œuvre est accomplie, le cercle est parcouru, de nouveaux besoins sont nés : l’esprit germanique appelle aujourd’hui un