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un peu surpris; cependant il appela Moumoû, et s’en étant emparé, la mit aux mains du valet; celui-ci se hâta de la porter dans le salon et la déposa sur le parquet. La vieille dame se mit à l’appeler d’un air caressant. Moumoû, qui de sa vie n’avait pénétré dans un aussi somptueux appartement, s’effraya à la vue de tout ce qu’elle voyait, et se rua vers la porte; mais, repoussée par l’officieux Stépane, la pauvre bête commença à trembler en se collant contre le mur.

— Moumoû, Moumoû, viens donc ici, viens près de moi, lui disait la dame de sa voix la moins aigre; viens donc, petite bête, ne crains rien.

— Viens donc, Moumoû, répétaient les dames de compagnie, viens !

Mais Moumoû les regardait avec défiance et ne bougeait pas.

— Qu’on lui apporte quelque chose à manger, dit la dame. Comme il est stupide! il ne vient pas près de moi; que craint-il?

— Il n’est pas encore apprivoisé, hasarda d’une voix craintive et gracieuse une des suivantes.

Stépane apporta une tasse de lait qu’il posa devant Moumoû; mais Moumoû ne fit pas même mine de s’en apercevoir, et continua à trembler et à regarder autour d’elle.

— Ah ! petite bête, dit la veuve en s’approchant du chien et en se baissant pour le caresser; mais Moumoû redressa aussitôt la tête et montra les dents. La vieille dame retira bien vite la main.

Il se fit un moment de silence. Moumoû jeta un léger cri, comme un signe de détresse ou d’excuse. La maîtresse s’éloigna le front assombri. Le subit mouvement du chien l’avait effrayée.

— Mon Dieu ! s’écrièrent à la fois toutes les femmes, ne vous a-t-il pas mordue?... — Moumoû n’avait jamais mordu personne. — Le ciel nous préserve ! ajoutèrent-elles sous forme d’interjection.

— Qu’on l’emporte, murmura la vieille; vilain chien! est-il méchant !

Et, lui tournant le dos, elle se dirigea lentement vers son cabinet particulier. Ses femmes se regardaient d’un air inquiet, et se mirent en devoir de la suivre; mais elle les arrêta. — Pourquoi me suivre? dit-elle d’un ton glacial; vous l’ai-je ordonné? — Et elle quitta le salon.

Stépane s’empara de Moumoû et la jeta dehors aux pieds de Guérassime, qui attendait à la porte. Une demi-heure s’était à peine écoulée depuis ce grave événement, que la maison avait repris son morne silence, tandis que la vieille dame s’était ensevelie dans les coussins de son divan, plus sombre qu’un ciel d’hiver.

Elle garda cette noire humeur jusqu’au soir, n’adressa la parole à personne, ne toucha point ses cartes. La nuit fut mauvaise; elle la passa à se plaindre et à tourmenter les femmes qui veillaient auprès