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les sentimens constitutionnels et républicains de ses frères du nord, il exploite habilement les passions de grandeur et les espérances d’avenir qui tourmentent tous les cœurs américains. Le sud a du reste un auxiliaire puissant dans l’ouest, qui a toujours au service de ces passions de conquête des milliers de bras, et qui jusqu’à présent ne s’est pas mêlé très ardemment aux querelles sur l’esclavage. L’ouest a jusqu’ici gardé une assez stricte neutralité entre le nord et le sud ; mais s’il doit jamais se prononcer, de quel côté se tournera-t-il ? N’est-il pas à craindre qu’il ne tende la main aux états qui se sont faits les avocats de cette politique de conquête, pour laquelle il a des milices d’aventuriers toutes prêtes, et qu’il n’est besoin que d’enrégimenter ? D’ailleurs les états libres de l’ouest n’ont pas la susceptibilité morale des états du nord : ils n’ont pas de culture littéraire et philosophique. On les fouillerait vainement qu’on ne trouverait pas dans leurs populations d’émigrans, de fermiers, de chasseurs, l’étoffe d’un Charles Sumner, d’un Lowell, d’un Théodore Parker. À demi barbares sont les aventuriers et les colons qui les peuplent ; quant aux Yankees qui s’y sont établis, grâce à mille circonstances, toutes plus propres à fortifier le caractère de l’homme qu’à épurer délicatement sa conscience, l’habitude du danger, le voisinage des prairies, etc., ils n’ont certainement gardé de leurs idées du nord que les préjugés à l’endroit du sang noir, et nullement l’horreur de l’esclavage.

À ces causes principales, qui donnent aux états à esclaves une force matérielle puissante, ajoutez les innombrables préjugés qui s’opposent en Amérique à l’émancipation des noirs. Dans le sud domine encore l’esprit aristocratique des anciens fondateurs de la Louisiane, de la Virginie et des Carolines. Là ce ne furent point de petits bourgeois anglais et de petits bourgeois de comtés qui vinrent s’établir ; là il n’y eut pas trace à l’origine de démocratie puritaine comme dans le Massachusetts et le New-Hampshire. Les colonies du sud furent au contraire le refuge de toute l’aristocratie protestante persécutée ou craignant de l’être, dépouillée de ses biens ou cherchant une fortune, — l’asile des gentilshommes huguenots français et des gentilshommes anglicans du temps d’Élisabeth et des Stuarts. Dans le nord, le sentiment biblique put bien agir aussi durement que dans le sud à l’égard de la race de Cham ; mais les hommes n’obéissent pas longtemps à leurs préjugés intellectuels, tandis qu’ils obéissent éternellement à leurs préjugés matériels de sang, de race et de condition. Aussi les durs et impitoyables colons du nord ont-ils dû en définitive triompher de leurs préjugés bibliques et protestans, et obéir forcément aux instincts de liberté et de justice de leur race, tandis que les brillans, les courtois, et, je n’en doute pas, les tolérans co-