de cinq ou six ouvrages qu’on chante tour à tour depuis trente ans! En combinant cette restauration du passé avec une plus grande initiative dans le présent, en appelant à soi, et plus fréquemment qu’on ne le fait, les compositeurs qui n’ont pas encore donné toute la mesure de leur impuissance, on pourrait secouer la torpeur qui plane depuis si longtemps sur cet océan, où n’éclatent guère que les tempêtes de la vanité. Surtout qu’on nous délivre à tout jamais de ces vastes machines en cinq actes qui n’ont été inventées que pour servir de cadre aux chevaux de Franconi. Un spectacle qui dure depuis sept heures du soir jusqu’à minuit n’est plus un plaisir, c’est une corvée à laquelle succombent les amateurs les plus intrépides. La musique, dans ces vastes épopées, n’est qu’un prétexte à décorations, et le public s’en revient abasourdi, étourdi de toutes ces voix de stentor qui ne coûtent si cher précisément que parce qu’on les soumet à ce rude et cruel exercice. Voyez où conduit une détestable école et l’absence d’une direction intelligente, ayant des idées sur l’art et le courage d’en poursuivre la réalisation! On cherche le succès per fas et nefas ; compositeurs, poètes et chanteurs poursuivent avec acharnement cette chimère qu’on s’imagine trouver dans l’entassement et la multiplicité des effets matériels, et le public, dont on pervertit le goût, qu’on flatte et qu’on trompe de toutes les manières, vous abandonne, parce que vous n’avez pas su élever et diriger ses instincts. Il y aurait à tirer de ces faits, qui tombent sous le sens commun, des considérations d’un ordre supérieur, et il ne serait peut-être pas difficile de prouver que la foule qui fréquente les théâtres est un peu comme les enfans, comme les femmes, voire comme les nations, qui méprisent un beau jour le maître qui a trop compté sur leurs faiblesses. Ce qui est certain, c’est que l’Opéra demande une réforme à peu près radicale, et que cette révolution ne pourra s’opérer que par la volonté d’un homme qui aura des idées, du caractère, et l’autorité nécessaire pour briser les obstacles. Ce n’est point avec des œuvres comme le Corsaire, ballet-pantomime en trois actes, qu’on élèvera le goût du public. Ce long scénario, qui déroule froidement les épisodes de l’une des plus belles conceptions de la poésie moderne, ne présente d’autre intérêt que celui d’offrir un cadre à l’admirable talent de la Rosati. Elle y est ravissante sous le costume d’une jeune Grecque, Medora, dont elle exprime les passions, à travers de nombreuses vicissitudes, avec un naturel où la grâce s’allie à la vigueur, sans jamais dépasser les limites de la belle fiction. Le tableau final, qui représente un vaisseau qui sombre au milieu de toutes les horreurs de la tempête et avec les péripéties d’une lutte suprême, mérite d’être signalé, et vaut à lui seul tout un long scénario comme celui qui nous occupe. La musique du Corsaire est de M. Adam. Un jeune ténor italien, M. Armandi, élève du Conservatoire de Paris, s’est essayé tout récemment dans le rôle de Robert. M. Armandi, qui est d’une taille élancée, a la voix trop délicate pour chanter la musique de Meyerbeer. Il sera mieux placé dans la Muette et dans le Comte Ory, s’il apprend à vocaliser, ce dont il a grand besoin. En attendant, on nous a donné la reprise de la Reine de Chypre, et, ce qui vaut mieux, on prépare celle de Guillaume Tell, qui ne devrait jamais quitter le répertoire d’un théâtre comme l’Opéra, s’il était bien gouverné.
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