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l’ont séduit. Manon, sage, modeste et toujours fidèle à son cher chevalier Desgrieux, refuse toutes les offres que lui fait le marquis d’Hérigni, lequel, poussé à bout par le chevalier, qui s’est engagé dans son régiment pour subvenir à un caprice de Manon, est tué d’un coup d’épée par son heureux rival. De là l’expatriation et la mort des deux amans dans les déserts de la Louisiane. Voyons si M. Auber aura été aussi fidèle à la gentille Manon que ce pauvre chevalier Desgrieux.

L’ouverture est une de ces petites causeries musicales qui ne tirent point à conséquence, et que M. Auber a l’habitude de composer d’un ou deux motifs empruntés à la partition, et tout simplement pour passer le temps. Le premier acte s’annonce par une cavatine sans importance que chante le marquis d’Hérigni, racontant son aventure avec Manon, dont il ignore le nom et la naissance, comme dit M. Scribe. Les couplets de Manon entrant dans sa chambrette un bouquet à la main sont plus vifs, mais ne valent pas le duo qui en forme la conclusion entre Manon et Marguerite, une amie qui remplit dans la pièce de M. Scribe le rôle du sage Tiberge. Le tableau qui se passe au Cadran-Bleu, où le chevalier Desgrieux traite sa jolie maîtresse avec du vin de Champagne, a de l’animation, surtout les couplets de ta Bourbonnaise, finement accompagnés et très bien réussis pour la voix de la cantatrice. Mme Cabel. Au second acte, on remarque les couplets du marquis d’Hérigni :

Manon est frivole et légère.


C’est un rien, c’est une fantaisie, comme dit encore le brillant colonel, mais une fantaisie ravissante qui est plus forte que l’amour sur l’imagination de M. Auber, qui a fort bien rendu ce caprice avec le mélange d’esprit et de sensibilité qui caractérise son talent. Le duo qui résulte entre Manon et le marquis d’Hérigni, qui se passionne en raison de la résistance qu’il éprouve, renferme des parties agréables, surtout la première phrase et la stretta, qui a même de la vigueur. Le grand air que chante Manon sur un refrain de contredanse qui vient réveiller ses instincts de femme légère fait ressortir la flexibilité de la voix de la cantatrice, et c’est tout ce que voulait le compositeur; mais nous préférons l’andante du petit duo entre Manon et Desgrieux, qu’ils chantent en mangeant le souper du colonel :

Lorsque l’orage gronde.


Le troisième acte transporte l’auditeur à la Louisiane, où l’on voit au lever du rideau une réunion de planteurs qui se disposent à fêter le mariage de Marguerite, l’amie de Manon, avec Gervais, l’objet d’une passion d’enfance qu’elle est venue rejoindre. De jolis couplets, mamzell’ Zizi, qui expriment assez heureusement l’enfantillage d’une chanson créole, un délicieux quatuor de l’harmonie la plus fine et l’un des meilleurs morceaux qu’ait écrits M. Auber se font remarquer d’abord. Lorsqu’un changement de décor laisse apercevoir la solitude d’un désert immense éclairé par les derniers rayons