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renoncer à sa tactique chérie, qui consiste à avoir toujours raison, même contre l’évidence. Au reste nous saurons bientôt à quoi nous en tenir sur cette question ; c’est après Pâques qu’auront lieu au parlement anglais les interpellations relatives à l’Amérique centrale, et les journaux américains nous apprennent que, sous peu de jours, le cabinet de Washington communiquera au congrès les pièces relatives à cette affaire. Quant à l’expédition de Walker, elle marche sans bruit et ne cesse de gagner du terrain. Ce président improvisé jouit de son pouvoir sans obstacle et attend toujours l’attaque des pays voisins, dont on le menace depuis deux mois, mais qui n’arrive jamais. Pour lui, il menace peu ; en revanche il se met en mesure de faire mieux que de menacer. Sa petite armée se recrute incessamment de bandes parties de la Californie ; on estime qu’elle est forte aujourd’hui d’environ douze cents hommes. D’autres bandes plus pacifiques en apparence, mais tout aussi redoutables, sont enrégimentées à la lumière du soleil et envoyées au Nicaragua : ce sont des bandes d’ouvriers et de colons des États-Unis ; dernièrement il en est parti deux cents de New-York. Si ces bandes ne conquièrent pas l’Amérique centrale, fiez-vous à elles en revanche pour conquérir le sol et les industries du pays, pour le coloniser, pour lui imprimer le cachet yankee. Ainsi cette expédition incroyable réussit, le gouvernement de Walker s’affermit, s’étend et fonctionne aussi régulièrement que n’importe quel état de l’Union. Quelle leçon pour le monde, si par hasard on était obligé d’admettre un jour qu’il y a plus d’esprit de gouvernement et de sagesse politique chez un flibustier de l’Amérique du Nord que chez l’Espagnol le plus éclairé de l’Amérique du Sud ! Quel plaidoyer bizarre, mais significatif, en faveur de l’éducation libérale et protestante !

Une autre question, qui reste malheureusement beaucoup trop dans le statu quo, est celle des troubles du Kansas. Voici bientôt un an que, pour la première fois, les bandes armées des Missouriens ont passé sur ce territoire, et le sang n’a cessé de couler depuis. Tout récemment une émeute effroyable a eu lieu dans un des districts de ce pays, à Leavenworth. Les partisans missouriens, ayant redouté un échec dans un vote populaire, ont enlevé et brisé la boite du scrutin, battu les autorités, et, pour rendre cette fête tout à fait complète, commis quelques meurtres. Des assassinats qui s’engendrent les uns les autres ont lieu sur toute l’étendue du territoire ; les partisans de l’esclavage massacrent les partisans de l’état libre, et ceux-ci à leur tour veulent venger la mort de leurs amis et de leurs parens. Pour mettre fin à ces désordres, le président Pierce a lancé récemment une proclamation dans laquelle il annonce que désormais les troubles seront réprimés non-seulement par la milice du Kansas, mais par les troupes régulières de l’Union que le gouverneur du territoire aura à sa portée et à sa disposition. En même temps il ordonne que ces invasions des états voisins sur le territoire du Kansas aient un terme, et qu’on laisse les habitans de ce malheureux pays régler seuls leurs affaires. Il est peu probable que cet appel soit entendu, et il est à craindre que le gouvernement fédéral n’ait à exécuter ses menaces et à appuyer la loi par la force.

Ce terrible problème de l’esclavage sera encore le grand intérêt de l’élection présidentielle ; il s’agira de savoir si la politique qui a inspiré le bill de Nebraska et Kansas sera continuée, ou bien si on s’arrêtera sur cette pente